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LACHELIER. — les lois psychologiques

à vrai dire, n’est même pas applicable à tous ceux des phénomènes psychiques qui ne sont que l’expression immédiate de phénomènes cérébraux. Ainsi on a réussi par l’expérience à dégager les éléments simples dont se composent nos représentations ; on a déterminé les lois suivant lesquelles ces éléments se combinent pour produire les phénomènes intellectuels complexes qui apparaissent à notre conscience. On a enfin mesuré avec précision les rapports de coexistence et de succession qui relient ces phénomènes. Mais il a été jusqu’ici impossible d’appliquer une méthode semblable aux phénomènes émotionnels et volitionnels, qui sont pourtant des phénomènes psychophysiques, tout aussi bien que les combinaisons et associations de sensations. Enfin M. Wundt reconnaît, comme nous le verrons, l’existence d’une activité libre, irréductible aux lois associatives, par laquelle s’expliquent toutes les fonctions supérieures de l’esprit, le raisonnement, la combinaison des moyens en vue d’une fin, etc. Or comment appliquer à l’étude de cette activité, indépendante, selon toute apparence, de l’organisme, des procédés d’expérience qui n’atteignent la conscience que par l’intermédiaire de l’organisme ? Il faut donc trouver d’autres méthodes pour suppléer à l’insuffisance de la méthode expérimentale ; or, ces méthodes existent, depuis longtemps elles sont connues : c’est d’une part la méthode d’observation et de comparaison, de l’autre la méthode historique.

La première est en usage dans toutes les sciences de la nature, elle consiste à recueillir des faits par l’observation et à les comparer ensuite pour en découvrir les relations constantes. Bacon le premier a posé les règles de cette méthode. Les tables d’absence, de présence et de degrés, ne sont en effet que des tables de comparaison. Il faut donc rassembler des faits, mais ces faits où les chercher et comment les observer ? M. Wundt se défie de l’observation du sens intime. L’observation de nous-mêmes par nous-mêmes ne peut avoir en effet aucune précision ; car, si elle est directe, l’attention modifie les phénomènes que l’on veut étudier, et si elle est faite indirectement, par le souvenir, elle manque évidemment d’exactitude. Le sens intime doit seulement nous fournir les matériaux indispensables pour interpréter les manifestations de la vie psychique chez les autres êtres conscients ; je ne comprendrai pas les signes de la colère, si je n’ai jamais été en colère, à aucun degré. Mais il ne faut pas s’en tenir à la méthode introspective ; il faut observer hors de nous, et M. Wundt nous recommande, comme tous les psychologues, l’étude des enfants, des hommes de races différentes, des fous et hallucinés, des animaux. Ainsi com-