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correspondance

Je cite encore M. Stricker. « Quiconque est capable de se représenter simultanément, en astreignant sa respiration à une pause suffisante, les sons A et U, celui-là a le droit de regarder ma théorie comme non avenue. Je n’ai pas besoins du reste d’en appeler au jugement du lecteur. Une pareille simultanéité est absolument impossible, puisque les mêmes muscles employés à la formation de l’image auditive de A doivent servir aussi à celle de U. Or je ne saurais les innerver simultanément, comme il le faudrait néanmoins, d’une manière pour le son A, et d’une autre manière pour le son U. »

Or, je trouve que je puis, tout en prononçant à haute voix la lettre A, me représenter mentalement la série des voyelles et même imaginer une phrase entière, j’en conclus que puisque, dans ces conditions, c’est-à-dire les muscles qui servent à prononcer A étant innervés, l’image motrice des autres voyelles ne peut se produire, j’en conclus, dis-je, que l’image des autres voyelles et des autres paroles, n’est pas, pour moi du moins et ceux qui sentent comme moi, une image motrice.

On peut voir dans la Parole intérieure de M. Egger (p. 175), d’autres bonnes objections contre la théorie qui ne veut voir dans l’image des mots que des images motrices. Je désirerais fort que les lecteurs de cet article fissent l’expérience bien simple que j’indique : prononcer ou chanter la lettre A, par exemple, en prolongeant le son et essayer en même temps de penser à d’autres sons, et je leur serai très reconnaissant s’ils veulent bien m’en faire connaître le résultat. Il est très probable que l’expérience ne réussirait pas à tous, mais d’après les renseignements que j’ai déjà recueillis, je serais surpris si quelques observateurs n’arrivaient pas au même résultat que moi. J’en connais déjà qui sont dans ce cas.

Quelle est la cause de ces divergences ? Je crois qu’il ne serait pas impossible de la trouver et que l’on peut établir une théorie des images du langage qui tienne compte de ce qu’il y a de vrai dans les idées des défenseurs des images motrices. Ce n’est pas ici le lieu de la développer, voulant faire cette note aussi courte que possible, je néglige aussi bien des remarques que me suggérerait la note de M. Stricker. Je me bornerai en terminant à lui faire remarquer que l’on ne répond pas à tout en se montrant disposé à ne trouver que des hallucinés dans ceux qui voient certaines choses autrement qu’on ne les voit soi-même, surtout quand on ne donne pas de meilleures raisons que celles sur lesquelles se fonde M. Stricker. (Voir l’art. cité p. 688). Sans doute il est déplorable que ni M. Egger, par exemple, ni bien d’autres, ni moi-même n’ayons pas les mêmes images psychologiques que M. Stricker, mais chacun fait ce qu’il peut, ce monde n’est pas parfait et il faut bien l’étudier tel qu’il est et non tel que nous le voudrions.

F. Paulhan.

Monsieur le directeur,

Dans sa réplique à M. Paulhan (nº de décembre 1884, p. 687), M. le professeur Stricker écrit ces lignes : « Je n’ai encore rencontré personne qui m’ait dit s’être représenté le contenu d’un article de journal avec les caractères imprimés qui le composaient. On peut retenir par cœur plusieurs articles, plusieurs phrases, mais en paroles que l’on prononce intérieurement et non en images graphiques de mots que l’on pourrait lire dans la mémoire, comme sur des feuilles imprimées. »

Mon expérience personnelle est en désaccord avec l’affirmation du savant Viennois. Unique bibliothécaire pour 80,000 volumes classés dans une vingtaine de salles, à chaque instant on me prie d’indiquer la collection, le volume la brochure, le journal où se trouve tel ou tel article. Ma mémoire ne dépasse pas la moyenne. Pourtant il est rare que je ne satisfasse pas immédiatement le chercheur, grâce au rappel plus ou moins rapide, non pas des sons, mais du