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Cela fait, comme on voit, un nombre imposant d’expériences, avec un excès potable en faveur de la suggestion.

Quant à l’ingénieuse observation de M. Tannery, je me promets de la mettre à profit, la première fois que je ferai de nouvelles expériences.

Ainsi que je l’ai dit à plusieurs reprises, je n’ai jamais prétendu résoudre ou même éclaircir la question. Je l’ai posée, cherchant à provoquer des expériences et des recherches nouvelles sur une question obscure qu’on a tort de rejeter sans examen.

Ch. Richet.

A PROPOS DE LA NOTE DE M. STRICKER

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J’ai publié dans cette Revue, au mois d’octobre 1883, quelques observations et quelques réflexions sur les rapports de l’image et du mouvement à propos des images motrices de la parole et d’un compte rendu des théories de M. Stricker. Comme mes observations et mes idées ne s’accordaient pas avec celles du savant professeur, M. Stricker se montre mécontent, c’est peut-être son droit, mais il en abuse pour ne pas me comprendre. Je voudrais donc, sans entrer tout à fait au fond de la discussion, ce dont j’aurai peut-être l’occasion plus tard, rectifier sur quelques points les assertions de M. Stricker, rappeler ce que j’ai dit, et ajouter quelque chose encore puisque ma première exposition n’a pas été suffisante.

Je cite M. Stricker : « M. Paulhan, dit-il, a néanmoins présenté une objection qui n’est pas sans importance. Pendant qu’il se représente[1] la voyelle A, dit-il, il peut se représenter en même temps les voyelles A, E, I, O, U[2]. »

Je me cite maintenant moi-même. « Je puis prononcer un mot ou une syllabe, et, en même temps, me représenter un mot ou une syllabe d’une articulation toute différente. Je puis par exemple articuler la syllabe pa et me représenter mentalement le mot ou l’articulation ver. En prononçant la voyelle a, je puis me représenter la série des cinq voyelles, a, e, i, o, u. En lisant ou en chantant à haute voix, je puis imaginer une conversation et entendre des phrases autres que celles que je lis[3].

On voit combien M. Stricker s’est peu rendu compte de mon observation et de l’objection qui en résulte. Il tâche de réfuter assez longuement l’objection telle qu’il se la représente et je lui accorderai volontiers qu’il y réussit, malheureusement cela n’importe en rien à la question.

Je me permettrai d’engager mes lecteurs à relire dans ma note précédente le passage dont je viens de citer un fragment et auquel M. Stricker n’a pas répondu parce qu’il l’a interprété, comme on peut le voir, d’une manière tout à fait inexacte. Examinons d’ailleurs le fait dont il s’agit et ses conséquences.

M. Stricker nous explique très nettement ce qu’il entend par l’image du son :

« Lorsque je me forme l’image de la lettre P, dit-il, il se produit dans mes lèvres la même sensation que si j’allais réellement l’articuler. Si je pense la lettre R, j’éprouve à la base de la langue la même sensation que si je voulais formellement émettre cette consonne. »

« Cette sensation selon moi constitue l’essence de l’image du son. » (Art. cité, p. 686).

D’un autre côté, M. Stricker remarque très justement que l’on ne peut avoir à la fois une représentation motrice de deux lettres, A et U par exemple, alors que les muscles qui serviraient à former les deux images sont les mêmes.

  1. C’est moi qui souligne.
  2. Revue philosophique, décembre 1884, p. 688.
  3. Revue philosophique, octobre 1883.