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directe se produit dans ce phénomène avant que le seuil de la conscience ne soit atteint.

Il y a donc là, en tout cas, une question mécanique ; il y a communication de mouvement entre l’appareil cérébral de l’individu qui suggère, que j’appellerai l’expérimentateur, et au moins la partie du système nerveux du médium[1] qui préside aux mouvements musculaires en question.

Comment se fait ce transport ? Voilà le problème à résoudre. On pourrait supposer entre un appareil cérébral et un autre, quelque chose et de semblable ou d’analogue à l’induction des courants électriques, c’est, ce me semble au moins, vers une conclusion de ce genre que pencherait M. Richet. Mais on peut aussi supposer un autre mode d’action qui, à première vue, se présente comme tout aussi vraisemblable, même si l’on fait abstraction de ce qu’il se réduit à des phénomènes d’un ordre bien connu.

On sait qu’il est impossible de penser nettement un mot sans le prononcer intérieurement, je dirai plus, d’avoir une idée vive sans articuler inconsciemment un mot, qui d’ailleurs n’est pas toujours celui qu’on choisirait pour représenter cette idée. On sait encore que cette parole intérieure est dans certains cas perçue par l’oreille de celui qui la prononce ; dans d’autres, elle n’est sentie que comme mouvement des muscles ; dans d’autres enfin, si l’on est vivement préoccupé, elle est absolument inconsciente, quoiqu’en fait elle puisse parfois atteindre l’intensité de la parole extérieure ; en tous cas, elle correspond certainement toujours à un bruit, quoique son intensité soit imperceptible pour autrui dans les conditions ordinaires.

Dans les tentatives de suggestion, l’expérimentateur produit nécessairement ce bruit imperceptible qui, nécessairement aussi, frappe l’appareil auditif du médium, sans toutefois atteindre, bien entendu, le seuil de la sensation. Toute la question est de savoir si ce bruit n’est pas assez fort pour ébranler tout ou partie du système nerveux de façon soit à produire, comme réflexes, des mouvements musculaires sans intervention de la conscience, soit à mettre en jeu, si faiblement que ce soit, les centres d’idéation dans l’appareil cérébral.

Il me semble que personne ne peut se refuser à admettre une pareille position de la question ; peut-elle maintenant être résolue scientifiquement ? il me le semble aussi, quoique je ne me sente disposé aucunement à entreprendre les nombreuses et délicates recherches qui seraient nécessaires. Je me contenterai donc de suggérer un experimentum crucis qui pourrait permettre de décider en faveur de ma conjecture ou au contraire de l’exclure.

Il s’agirait, par exemple, de reprendre les expériences de M. Richet en bouchant soigneusement avec du coton les oreilles du médium ; si la

  1. Je désignerai ainsi l’individu soumis à la suggestion, sans entendre le mot dans le sens spécial aux conditions dites spiritiques.