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ANALYSES.sully-prudhomme. L’expression.

Enfin, pour compléter l’artiste, il faut une aptitude de plus ; celle qui permet au cerveau de faire exécuter par la main, sur la toile ou dans la glaise, les combinaisons harmonieuses nées dans l’imagination. Par une analyse que nous croyons nouvelle, Sully-Prudhomme définit très nettement l’image, le souvenir d’une sensation passée. « Si un objet est posé dans ma main, j’éprouve une sensation de pesanteur, soit d’un kilogramme, et cette sensation cesse aussitôt que je dépose le fardeau. Mais toute trace n’en a pas disparu en moi, car je puis supporter un nouveau poids et le comparer au premier… Cette image, ce souvenir de la sensation passée, n’est nullement une sensation affaiblie. Car la sensation affaiblie d’un kilogramme serait la sensation actuelle d’un milligramme, et comment un milligramme présent pourrait-il représenter un kilogramme passé ?

Le souvenir, l’image d’une sensation passée est donc quelque chose de tout à fait distinct de la sensation elle-même.

L’imagination est le pouvoir, non seulement, de retrouver en nous le souvenir des sensations passées, mais aussi et surtout de combiner les éléments fournis par les souvenirs et d’en composer des images nouvelles.

Après ces préliminaires, Sully-Prudhomme, dans le deuxième livre, aborde la théorie générale de l’expression qu’il nous semble avoir renouvelée par la rigueur et la clarté de ses démonstrations et de ses analyses. Il serait impossible de les résumer ici sans dépasser et de beaucoup l’espace dont nous disposons ; toute cette partie est à lire avec une grande attention par quiconque s’intéresse aux choses de la philosophie. Nous nous contenterons donc d’en donner les conclusions qui rentrent absolument dans les données du système de Kant, avec un élément de plus introduit par l’auteur et dont l’importance est, à nos yeux, très grande.

Le monde extérieur à nous connu, est un ensemble de causes qui se révèlent à notre esprit par l’intermédiaire de nos sensations. En raisonnant sur ces sensations, en observant leurs groupements respectifs, leur disparition, puis leur réapparition dans des conditions données, nous arrivons à nous former une idée, une perception de ce qui nous entoure. Dans cette idée, il y a donc deux parts à faire, la part revenant aux objets ou objective, la part revenant au sujet pensant, ou subjective. S’il était permis d’employer ici les notations mathématiques on pourrait peut-être formuler le phénomène ainsi qu’il suit.

Soit A, B, C, etc., les causes extérieures inconnues, et a, b, c, etc., les sensations qu’elles déterminent en nous, et qui, a priori du moins, ne se rattachent respectivement entre elles que par un rapport de coïncidence.

On comprend très bien que l’étude, à nous accessible, des rapports , , etc., puisse nous fournir certaines notions sur les rapports, etc.