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ANALYSES.naville. La physique moderne.

difficultés insurmontables. Mais ce sont là difficultés dont la métaphysique est seule juge, non la science.

M. Naville nous répète ce qu’a dit Descartes et que les lois du mouvement résultent de l’immutabilité de Dieu. Alors de cette nature immuable les lois du mouvement peuvent être déduites, alors le simple énoncé de ces lois nous amène au terme d’une courte ascension dialectique, en présence de l’immuable créateur. Je veux bien qu’un être dont la nature ne change pas ait imposé à son univers la condition de changer le moins possible. Mais d’où sait-on que Dieu est immuable ? Il est parfait, et tout changement dénote l’imperfection. Cela encore, qui nous l’apprend ? L’expérience et l’expérience seule ; on sait les lois du monde alors qu’on ne sait pas s’il est un Dieu. Et d’ailleurs, si la notion d’immutabilité divine enveloppe celle d’un monde gouverné par des lois, il reste encore à savoir quelles lois le régissent. Pour connaître ces lois, s’il faut contempler Dieu, c’est dans son œuvre, qui nous est accessible, et non pas dans son essence, qui nous est impénétrable. J’admets que les lois du mouvement s’accordent avec ce que les chrétiens affirment de leur Dieu, mais ici « s’accorder » a même sens que « n’être pas incompatible ». Si l’on nous objecte les paroles mêmes de Descartes, nous répondrons que l’aveu du philosophe ne saurait remplacer la plus faible des preuves. Point ne suffit d’avertir le lecteur des influences religieuses qui ont agi de concert avec le génie scientifique : il faudrait encore nous avoir expliqué le comment de ces influences, et nous avoir marqué le moment précis où elles ont commencé d’agir.

J’arrive aux textes très nombreux recueillis pas l’auteur de la Physique moderne et qui montrent à quel point les ancêtres de la science contemporaine avaient gardé intacte la religion de leur enfance. Ils montrent cela, mais cela seulement.

Toutefois, que devons-nous penser de cette parole de Newton[1] : « N’est-ce pas une preuve que nous approchons de Dieu à mesure que nous arrivons à des lois plus simples et plus générales ? » Un chrétien qui n’aurait jamais fait de métaphysique eût-il parlé ainsi ? Il ne faut pas, selon nous confondre l’influence des « idées religieuses » avec celle des doctrines métaphysiques. Newton était spiritualiste en même temps que chrétien. Est-ce cependant un motif de croire qu’il est devenu le grand et l’immortel Newton par la seule efficace de l’inspiration chrétienne ?

Newton a nié, nous est-il dit (p. 171), le principe cartésien du principe de la conservation de la force. Nier ce principe, c’est ouvrir la porte toute grande à l’intervention du créateur. Ou mes souvenirs me trompent, ou c’est encore Newton qui s’en remettait à la toute-puissance divine du soin d’empêcher la lune de tomber sur la terre, Ici, je reconnais l’influence des idées religieuses ; mais, au lieu de diriger, elles ont singulièrement égaré le génie du grand homme.

  1. P. 135.