Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 17.djvu/95

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
91
REVUE GÉNÉRALE. — gley. Les aberrations de l’instinct sexuel

pondent certaines dispositions nerveuses. Que celles-ci soient dérangées, la fonction ne sera-t-elle pas troublée, tout comme elle l’est par une conformation anormale ? C’est ce qu’il faut maintenant établir.

La chose n’est pas trop malaisée, grâce à une des anomalies dont il a été déjà parlé, la pédérastie. Qu’il s’agisse de pédérastie d’emblée, dépendant d’un état névropathique primitif, ou de pédérastie secondaire, s’étant développée peu à peu à la suite d’une éducation vicieuse, il n’importe. Dans les deux cas, la fonction physiologique arrive à ce point de perversion que l’organisme tout entier se modifie. Aussi le professeur Tardieu a-t-il pu tracer des hommes adonnés à ce vice un portrait justement fameux. « Le caractère des pédérastes, dit-il, se peint souvent dans leur extérieur, dans leur costume, dans leurs allures et dans leurs goûts, qui reflètent en quelque sorte la perversion contre nature de leurs penchants sexuels… « Les cheveux frisés, le teint fardé, le col découvert, la taille serrée de manière à faire saillir les formes, les doigts, les oreilles, la poitrine chargés de bijoux, toute la personne exhalant l’odeur des parfums les plus pénétrants, et dans la main un mouchoir, des fleurs ou quelque travail d’aiguille : telle est la physionomie étrange, repoussante et à bon droit suspecte qui trahit les pédérastes… [1]. » Et l’influence de la perversion dont il s’agit sur les idées et les sentiments n’est-elle pas assez nettement indiquée par ce fait que rapporte encore Tardieu, à savoir que, ayant eu fréquemment l’occasion de lire la correspondance de pédérastes avoués, il y a trouvé toutes les formes de langage les plus passionnées, les épithètes et les images empruntées aux plus ardents transports du véritable amour[2]. — Ainsi une perversion morale amène une réelle anomalie du sens génital.

N’est-il pas possible maintenant d’expliquer d’une manière plus complète « l’inversion du sens génital » de Charcot et Magnan, la « sexualité contraire » de Westphal et de Krafft-Ebing ? On voit commencer cette perversion dès le jeune âge, ce qui prouve bien qu’elle sort du plus profond de l’être et qu’elle ne dépend nullement d’habitudes lubriques. Les observations d’ailleurs le démontrent surabondamment. Dans tous les cas, on constate un état psychopathique dont la réaction est évidente sur la fonction physiologique ; les centres nerveux se trouvent dans une disposition particulière qui fait que les appétits, les sensations et les idées liés à l’instinct sexuel se pervertissent. Ce n’est plus ici l’organe qui détermine le sexe, c’est

  1. Étude médico-légale sur les attentats aux mœurs, pp. 221-222.
  2. Loc. cit., p. 215.