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REVUE GÉNÉRALE. — gley. Les aberrations de l’instinct sexuel

depuis sa naissance comme étant du sexe féminin, — âgée de quarante ans et nommée Ernestine G…, s’était mariée à dix-sept ans et demi. Déjà vers quinze à seize ans elle s’était senti un vif attrait pour les jeunes gens. Avec son mari, « les rapports sexuels ne purent avoir lieu que d’une façon très imparfaite. Elle remarqua même que elle présentait dans ces rapports une disposition tout à fait analogue à celle de son mari, et qu’un membre pareil au sien, bien que moins volumineux, entrait en érection en même temps et produisait une éjaculation semblable. Les deux époux vécurent en bonne intelligence jusqu’en 1871, époque de la mort de L… (c’est le nom de son mari). » (Bulletins de la Soc. d’anthropol. de Paris, 1881, p. 488.) Mais voici le fait curieux : « Les idées d’Ernestine G…., devenue veuve, se sont modifiées, et elle manifesta une propension très marquée et même très ardente du côté des femmes. Elle eut ainsi plusieurs maîtresses, et elle affirme que les rapports s’effectuèrent tout à fait normalement ». Il ne faudrait cependant pas attribuer à la mort de son mari, c’est-à-dire à la privation des jouissances dont elle avait l’habitude, la recherche de ce nouveau rôle, car elle a fait l’aveu « que, du vivant de son mari, et sans qu’elle ait interrompu ses relations avec lui[1], » — voilà le phénomène capital, — « elle eut plusieurs fois de véritables rapports avec des femmes, mais moins fréquemment et moins régulièrement que depuis qu’elle est veuve, »

On contestera difficilement l’importance de ces faits. Qu’est-ce en réalité que cet individu ? C’est un homme, ainsi qu’on l’a reconnu par l’examen minutieux de ses organes génitaux. Mais les organes externes présentent des analogies avec ceux de la femme. (Voy. p. 490, 496). On conçoit dès lors chez un pareil être la possibilité du développement des sensations génitales propres à la femme, surtout si l’on a égard à ce fait que son organisation génétale est indistincte[2] : les masses musculaires sont celles d’un homme et les poils sont abondants et rudes, même sur la figure ; mais la voix est manifestement féminine, les seins sont assez volumineux, et le visage n’a pas de caractère sexuel bien marqué[3].

  1. Ces mots ne sont pas soulignés dans l’observation du Dr Magitot.
  2. L’importance de la forme générale du corps sur tout ce qui se rattache à l’instinct sexuel, de près ou de loin, est en effet très grande, facile d’ailleurs à vérifier. N’est-ce pas une remarque journalière qu’à l’âge indistinct où les garçons, pour l’allure générale et les formes du corps, sont un peu petites filles, ils ont des goûts de petites filles ? Combien d’entre eux jouent avec le plus grand plaisir à la poupée et au ménage ! Combien pleurent pour être habillés en filles et veulent « être filles » !
  3. Je tiens de M. le Dr Manouvrier, préparateur au laboratoire d’anthropologie, qui a vu cette femme et qui a eu l’obligeance de me montrer le mou-