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REVUE GÉNÉRALE. — gley. Les aberrations de l’instinct sexuel

ment on ne saisit l’influence d’habitudes de luxure, mais c’est naturellement qu’apparaît et se développe l’aberration. On remarque de plus que les phénomènes psychiques relatifs à l’instinct sexuel s’accordent tous entre eux et d’abord avec l’aberration dont ils dépendent, C’est là vraiment pour le sens génital un cerveau de femme, de femme sensuelle bien entendu, dans un corps d’homme.

Les faits observés par Westphal et par Krafft-Ebing n’offrent pas moins d’intérêt. Westphal a publié ses observations sous un titre caractéristique : Die conträre Sexualempfindung — sens sexuel contraire ou attraction des sexes semblables —, heureuse expression que Krafft-Ebing a aussi employée. Le cas le plus important que rapporte Westphal est celui d’une fille de trente-quatre ans qui, dès son jeune âge, aimait les jeux des garçons et surtout à s’habiller en garçon. À partir de l’âge de huit ans, elle éprouva un vif penchant pour les petites filles, non pour toutes indistinctement, mais pour certaines : aussi leur faisait-elle la cour, rougissant auprès d’elles, les embrassant avec passion et cherchant à se livrer sur elles à des attouchements qu’on imagine ; les caresses s’accompagnaient d’une vive excitation, de spasmes et de sécrétion des parties génitales. C’est, comme on voit, le tableau de la volupté suprême chez la femme lors du coït. Pourtant elle ne commença à ressentir l’orgasme voluptueux que lorsqu’elle fut menstruée. De dix-huit à vingt-trois ans, elle eut souvent l’occasion de satisfaire ses penchants. Quant aux hommes, ils ne présentaient pour elle aucun attrait. Le souvenir de la jeune fille aimée la poussait à l’onanisme, et elle avait des rêves amoureux qui lui rappelaient l’objet de ses désirs. Quand ceux-ci ne pouvaient être satisfaits en raison de quelque obstacle, elle entrait dans de véritables accès de fureur et était portée au suicide. C’est ainsi que, prise subitement d’une ardente passion pour une jeune fille qui repoussa toutes ses avances, elle tomba peu à peu dans une sorte de stupeur et arriva ensuite à un tel degré d’excitation qu’il fallut la placer dans un asile d’aliénés, d’où elle fut envoyée à la Charité de Berlin. On l’examine : rien de particulier dans son état physique. Le corps a bien le type féminin. Le crâne est normal. Les organes génitaux sont bien conformés. Il est plus que probable qu’elle n’a jamais eu de relations sexuelles. Au point de vue moral, elle a conscience de l’étrangeté de son état, et elle dit qu’elle est la première à en souffrir[1].

  1. Westphal s’est en effet posé la question de savoir si les individus atteints de cette perversion étaient heureux. D’après lui, ils ont la conscience douloureuse de leur état anormal. On a vu que le malade de Charcot et Magnan est aussi très malheureux. D’après Krafft-Ebing au contraire, ces malades sont heureux de leur état, malheureux seulement des obstacles que l’opinion et la