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quent toujours chez moi une vive émotion ; une belle statue d’homme me produit le même effet ; l’Apollon du Belvédère me fait beaucoup d’impression. Quand je rencontre un homme dont la jeunesse et la beauté provoquent ma passion, je suis tenté de lui plaire ; si je donnais libre carrière à mes sentiments, je lui ferais toutes les amabilités possibles, je l’inviterais chez moi, je lui écrirais sur du papier parfumé, je lui porterais des fleurs, je lui ferais des cadeaux, je me priverais de bien des choses pour lui être agréable. Jamais je ne me laisse aller à tout cela, mais je sens très bien que je serais capable de le faire ; je dois vaincre le désir que j’éprouve d’agir ainsi. Je sais dominer les envies dont je viens de parler, mais je ne parviens pas à dominer l’amour lui-même ; cet amour heureusement ne me possède pas d’une manière continue ; je travaille, et mes études me sont d’un grand secours contre les pensées sensuelles ; mais souvent la sensualité l’emporte sur le travail, et je suis arrêté au milieu de l’examen très approfondi d’une question, par la représentation soudaine d’un homme nu dans mon imagination. J’ai toujours lutté tant que j’ai pu contre cette sensualité ; je suis parvenu à empêcher beaucoup d’actes auxquels je me sentais poussé, mais je n’ai jamais pu éteindre la sensualité même, Regarder les parties génitales d’un homme beau et fort, telle a toujours été la volupté la plus grande pour moi.

« Quant aux femmes, si belles qu’elles soient, elles n’ont jamais fait naître en moi le moindre désir. J’ai essayé d’en aimer une, espérant ainsi revenir à des idées naturelles ; malgré sa beauté, ses efforts, etc., je suis resté complètement froid, et l’érection, si facile chez moi à la vue de l’homme, n’a pas même commencé. Jamais une femme n’a provoqué en moi la plus petite sensualité.

« J’adore la toilette féminine ; j’aime à voir une femme bien habillée, parce que je me dis que je voudrais être femme pour m’habiller ainsi. À l’âge de dix-sept ans, je m’habillais en femme au carnaval, et j’avais un plaisir incroyable à trainer mes jupes dans les chambres, à mettre de faux cheveux et à me décolleter. Jusqu’à l’âge de vingt-deux ans, j’ai eu le plus grand plaisir à habiller une poupée ; j’y trouverais encore du plaisir aujourd’hui.

« Les dames s’étonnent de me voir si bien juger du plus ou moins de bon goût de leurs toilettes et de m’entendre parler, de ces choses, comme si j’étais femme moi-même.

« L’amour que je ressens pour un homme passe vite ; dès qu’un autre homme, plus joli à mes yeux, se présente, la pensée du premier disparaît… » (P. 6-8.)

On remarque ce qui fait la valeur singulière de cette observation : dans les phénomènes qui y sont notés, rien n’est acquis ; à aucun mo-