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REVUE GÉNÉRALE. — gley. Les aberrations de l’instinct sexuel

Le malade observé par MM. Charcot et Magnan est un homme de trente et un ans, brun, grand, bien charpenté, au crâne régulièrement conformé, à l’œil vif, au visage énergique et intelligent, malgré un léger prognathisme et un développement assez considérable des oreilles, portant une forte moustache ; il se tient droit, et la marche est ferme sans rien offrir de l’allure féminine ; les organes génitaux sont très bien conformés ; pas la moindre anomalie. Au point de vue moral, c’est un esprit cultivé ; il est fort instruit : après de brillantes études classiques, il a rapidement obtenu les grades universitaires qui lui ont permis d’arriver à trente ans au professorat dans une Faculté ; il aime les beaux-arts, la musique plus particulièrement, et a un goût très vif pour la poésie. Comme homme, il est bienveillant, charitable, d’un commerce facile. On le voit, l’observation de MM. Charcot et Magnan a trait à une personne qu’on est convenu d’appeler un homme distingué.

Mais il y a un affreux revers à cette situation. « Nous trouvons, écrivent en effet les deux savants médecins, dès le premier âge, la voluptueuse curiosité pour les nudités masculines, la recherche des occupations féminines, le désir de ressembler à la femme, de plaire à l’homme, l’idée obsédante de l’homme nu s’imposant plus tard au milieu des études les plus sérieuses ; l’onanisme et l’exaltation de l’imagination amenant à la fois un tel état de faiblesse et d’éréthisme génital que l’érection et l’éjaculation se produisent à la vue des organes virils de l’homme, à la vue d’une statue, à la seule idée de l’organe sexuel de l’homme. Par contre, indifférence absolue pour la femme, dont les attouchements, les provocations de toute nature ne peuvent venir à bout d’une invincible frigidité. Tout cela avec une entière conscience de l’état maladif. » (P. 12.)[1] Voici d’ailleurs ce que raconte le malade lui-même dans une sorte d’autobiographie fort intéressante et qui a d’autant plus de valeur psychologique qu’elle est due à un homme vraiment intelligent.

« Ma sensualité, dit-il, s’est manifestée dès l’âge de six ans par un violent désir de voir des garçons de mon âge ou des hommes nus. Ce désir n’avait pas grand’peine à se satisfaire, car mes parents demeuraient près d’une caserne.
 
 

Je cessai absolument de me livrer à l’onanisme à l’âge de vingt ans ; mais je ne suis jamais parvenu, malgré tous mes efforts, à arrêter les excitations de mon imagination ; les hommes jeunes, beaux et forts provo-

  1. Je cite d’après la brochure extraite des Arch. de neurologie et publiée chez Delahaye et Lecrosnier, 1883.