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grand rôle dans les perversions sexuelles. M. P. Moreau le dit excellemment : « Avant de tomber malade, cet organisme n’avait-il pas déjà son histoire propre ? Ne tenait-il pas par l’hérédité à d’autres organismes antérieurs dont il avait reçu l’empreinte congénitale ? Ne s’était-il pas développé dans de certains milieux, auxquels il s’était fatalement adapté ?

« Chez l’homme ainsi prédisposé, la cause la plus futile, la plus insignifiante, du moins en apparence, suffira pour produire l’étincelle qui doit amener la catastrophe. » (P. 69.) Ainsi il existe un certain état de l’organisme auquel viennent seulement donner l’impulsion différentes causes, que M. P. Moreau divise en causes physiques générales — misère, âge, constitution, nourriture — et causes physiques individuelles — vices de conformation, maladies des organes génitaux, troubles des fonctions physiologiques, comme traumatismes, empoisonnements, affections médullaires, incontinence, continence, etc.

II. Jusqu’ici, les faits dont il a été question, tout en ressortissant à la pathologie, constituent des phénomènes relativement aisés à expliquer par les lois ordinaires de la physiologie du système nerveux. C’est de la psychologie morbide, ce n’est pas de la psychologie hors nature. Un instinct donné se trouve diversement perverti, pour diverses causes que l’on peut indiquer ; mais on comprend ces perversions : c’est leur absence que l’on ne comprendrait point, vu l’état nerveux et l’état mental des individus chez qui ces troubles se produisent. La pédérastie même reste, si l’on ose dire, un phénomène naturel, puisqu’elle dépend soit d’une affection cérébrale certaine, soit d’un processus psycho-physiologique que j’ai essayé de déterminer. Mais les faits qui vont être maintenant exposés paraissent au premier abord absolument irréductibles. Ce sont bien réellement des monstruosités, des ludi naturæ. Faudra-t-il donc, quoi qu’il ait été dit jusqu’alors, considérer l’érotisme, qui en forme toujours la base, comme un trouble sui generis, que rien n’explique ?

Signalés et étudiés d’abord en Allemagne, surtout par Wesphal et par Krafft-Ebing, ces faits sont restés pendant plusieurs années assez inaperçus en France. M. P. Moreau n’en dit pas un mot. Mais ils ont attiré récemment l’attention de M. le professeur Charcot et de M. le docteur Magnan. Tous deux ont publié dans les Archives de neurologie (numéros 7 et 12, 1882) quelques observations très intéressantes ; une d’elles a particulièrement excité une vive curiosité. — Il convient de la résumer, pour donner une idée claire des faits dont il s’agit et pour en montrer la grande importance.