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REVUE GÉNÉRALE. — gley. Les aberrations de l’instinct sexuel

présentent avec des stigmates physiques, plus ou moins apparents, quelquefois très légers, des anomalies morales et un défaut d’équilibration intellectuelle. De là le rôle considérable chez ces malades des impulsions dites irrésistibles. Par suite de la tare cérébrale, leur esprit a des points faibles, et c’est toujours et naturellement suivant cette ligne de moindre résistance qu’il se développe en eux des façons de sentir ou d’agir, simplement bizarres, extraordinaires ou complètement anormales — c’est là une question de degré en rapport évident avec la gravité de la névrose —, et cela sous l’influence d’une cause souvent très peu proportionnée à l’effet produit, une association d’idées passagère, l’occasion, une inconstance fortuite, etc. Et, si leur esprit est ainsi entraîné, c’est que, déséquilibré, il n’a pas la force nécessaire pour réagir contre l’impulsion du moment, qui dès lors tend de plus en plus à devenir une habitude, une manie, un vice. Aussi voit-on chez ces malades naître la foule des monomanies, car la dégénérescence peut se traduire, on le comprend, de mille manières ; le fonds pathologique pourtant est toujours le même, et les aliénistes avaient eu le plus grand tort de s’arrêter à ce qui n’est qu’épisodes divers dans une affection essentiellement une, pour faire de ces simples épisodes de réelles espèces morbides.

Ne saisit-on pas maintenant toute l’importance psychologique que peut avoir une étude approfondie des dégénérés ? Ces malades réalisent de véritables expériences physiologiques. Bien souvent, en effet, leur esprit n’est plus capable de cette réaction générale, propre à chaque individu et qui, dépendant d’un juste équilibre des sentiments et des facultés intellectuelles, constitue la volonté particulière de chacun, en rapport avec le caractère. Or n’est-ce pas justement l’intervention constante de la réaction volontaire qui fait le grand obstacle des observations psychologiques entreprises sur soi-même et, à plus forte raison, quand il s’agit d’observer les autres ? N’est-ce pas ce qui rend extrêmement difficile de pénétrer jusqu’au fonds intime du caractère individuel et qui fait douter d’avoir jamais atteint les lois réelles du fonctionnement psychique ? Chez les dégénérés, au contraire, l’esprit est forcé de nous livrer une partie de son mécanisme, ou plutôt nous voyons ce mécanisme fonctionner de lui-même. C’est ici l’analogue de ce qui se passe pour certains phénomènes physiologiques qui aujourd’hui, grâce aux appareils enregistreurs qu’ont imaginés les physiologistes, s’offrent pour ainsi dire d’eux-mêmes à l’observation. Les dégénérés montrent donc de façon spontanée tout ou partie du fonctionnement cérébral, et les phénomènes psychiques correspondants. Et même, si ces malades ont conscience de leur état, ils ne peuvent pas pour cela réagir et sont obligés de nous laisser voir