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ANALYSES.ferri. L’omicidio-suicido.

n’a point paru universellement impliquer le droit d’incendier sa propre maison, même lorsque cet incendie volontaire ne nuit ni à une compagnie d’assurances, ni à un créancier hypothécaire, ni à un voisin. Insistant sur ce rapprochement, je pourrais rappeler qu’avant 1832, dans notre législation française, le fait de brûler sa propre maison n’était puni par aucun texte, mais qu’il l’est depuis lors. N’est-ce point peut-être parce que les progrès de la vie urbaine ont rendu de plus en plus redoutable le péril, non pas surtout de la contagion de l’incendie, mais de la contagion de son exemple ? Or, dans le suicide aussi, quel rôle ne joue pas l’imitation ! — Mais Ferri répondra peut-être que le suicide est une soupape de sûreté, un véritable soulagement social, et que faciliter cette émigration-là est un bienfait public, puisque le progrès du suicide, indice d’une civilisation croissante, est en raison inverse de celui de l’homicide ? Illusion, je crois. Pendant que les suicides ont triplé en France, les crimes contre les personnes n’ont nullement diminué ; qu’on jette un coup d’œil sur la statistique officielle. Ferri a été optimiste en ceci. Mais il n’appartient qu’au pessimisme, au fond, de justifier le rejet de la vie, et la participation à cet acte. — Optimistes aussi, quoique en sens contraire, sont ces gens heureux, qui se persuadent qu’il faut être fou pour abdiquer la vie. Tel n’est pas sans doute l’avis de la nature qui a cru nécessaire de nous attacher à l’existence par un instinct spécial, ne jugeant pas apparemment que la raison dût toujours suffire à nous y retenir. Ainsi pensent les religions elles-mêmes qui, pour empêcher les fidèles de se précipiter en masse vers un consolant au-delà, ont dû flétrir comme criminel l’acte le plus logiquement conforme à leur dogme fondamental. La civilisation serait mal venue, certes, après nous avoir ôté les espérances religieuses, à nous maintenir légalement les flétrissures religieuses, et à se proclamer elle-même le bien suprême qu’on ne saurait repousser sans folie. Car, en vérité, la vie est souvent mauvaise et la société haïssable, et voilà pourquoi, malgré l’intérêt que peut avoir une société tyrannique à enchaîner ses fils, ceux-ci, même parfois blâmables, sont toujours excusables d’avoir voulu rompre leurs chaînes.

Mais ceux qui leur auront procuré ou facilité cette effraction, dans quel cas seront-ils excusés aussi ? Le principe de Ferri est que le meurtrier autorisé par sa victime, devra être innocenté toutes les fois qu’il aura agi en vertu de motifs qui n’auront rien d’antisocial ni par conséquent d’illégitime. C’est vague et susceptible d’interprétation diverses. Je pousse un dévot sous le char de Siva, une veuve indienne sur le bûcher de son mari, et cela pour répondre à leur prière : mon motif, comme le leur, a été religieux ; dira-t-on que la religion est chose antisociale ? Je vais sur le terrain donner à un adversaire le droit de m’envoyer une balle au cœur, non pas que j’aie la moindre envie de mourir, mais parce que je crois devoir incliner ma ferme volonté de vivre devant cette impérieuse volonté des morts qu’on appelle la coutume ; l’obéissance à la coutume, quoi de plus social ? Quelle société subsisterait un seul jour sans cette docilité plus ou moins aveugle ? — Il faut donc laisser le fanatisme et la bar-