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E. Ferri. — L’omicidio-suicido. L’homicide-suicide. Torino, Fratelli Brocca, 1884.

Par homicide-suicide, l’auteur entend soit le secours prêté au suicide d’autrui, soit le meurtre d’autrui avec son consentement. Cette définition embrasse, on le voit, des natures de faits bien distincts : le suicide conventionnel et réciproque, le coup de grâce donné au malheureux qui l’implore si souvent en vain de notre pitié timide, et enfin le duel, qui eût bien mérité d’avoir sa place d’honneur dans cette étude, où il n’y est fait qu’une rapide allusion. C’est une lacune que je signale à l’éminent professeur. L’examen philosophique, autant que juridique, d’actions pareilles, soulève deux questions : L’homme a-t-il le droit de disposer de sa vie ? et, s’il l’a, peut-il en transmettre l’exercice à l’un de ses semblables ? Sur ces deux points, M. Ferri tient pour l’affirmative, et il défend sa double thèse, contre les sophismes et les déclamations de l’école classique, avec un luxe d’arguments éloquents, qui rajeunissent le sujet et font comprendre le brillant succès récemment obtenu par ses conférences à Rome et à Gênes. Ce n’est pourtant pas sans observations ni réserves que nous pouvons à notre tour, après plusieurs critiques italiens, adhérer à ses conclusions. Son grand mérite, à notre avis, est d’avoir abordé de face un problème capital, d’un intérêt toujours croissant (si l’on songe que le : nombre des suicides s’est élevé en France, notamment, de 2,305 en 1835, à 7,123, en 1882), et d’avoir montré l’absurdité de la logique juridique, judaïque, qui poursuit comme meurtrier quiconque tue, sans se demander pourquoi il tue, sauf le seul cas de légitime défense. Autant vaut le motif, autant vaut l’acte. — D’accord ; mais la conséquence à tirer, et que l’auteur ne tire pas explicitement, c’est qu’il importe de réglementer par des lois spéciales, soit l’assassinat philanthropique pour ainsi dire dont il parle, soit le duel dont il ne parle presque pas. Il est monstrueux de voir encore, de loin en loin, nos parquets français, à défaut, d’articles de loi spéciaux, poursuivre pour assassinat ou tentative d’assassinat d’honnêtes duellistes. Il n’est pas moins révoltant de voir, en 1838, un sieur L.. condamné à mort par la cour d’assises du Finistère, pour avoir charitablement donné la mort à un individu qui, par écrit, avait déclaré sa volonté formelle et pressante d’être tué (v. Dalloz. Jurisp. gén., v. Crimes et délits contre les personnes, No 129). Reconnaissons toutefois que de telles poursuites sont rares. Il arrive assez souvent que, sur deux amants cherchant à se délivrer mutuellement de tous maux, l’un survive à l’autre : est-il jamais arrivé qu’on l’ait poursuivi ? Cette impunité est, aux yeux de Ferri, une adhésion implicite à son principe.

Mais ne peut-on pas trouver que cette justification des actes par leur intention, quelles que soient leurs suites, s’accorde mal avec l’utilitarisme ordinaire du savant criminaliste, qui explique ou limite tout droit on général par l’intérêt social ? ou bien dira-t-on que l’émigration de ses membres n’intéresse en rien la société ? Après tout, si sacré que soit devenu le droit d’émigrer hors de la vie, il ne l’est pas plus que ne l’était naguère encore le droit de propriété. Cependant le jus utendi et abutendi