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bras et de grosses mains possèdent les mouvements les plus justes ? L’adresse, disait Montesquieu, est une juste dispensation de la force. N’est-ce pas de même un certain état d’équilibre qui constitue le génie ? L’hérédité du génie est pour cela moins assurée, parce qu’il est, en quelque sorte, un tissu composé de plus de fils ; et il ne faut pas parler d’amplitude seulement, où la qualité de substance et la proportion comptent davantage. Ce qui est plus surprenant, en réalité, que le phénomène de la locomotion, ou que cette réaction propre de l’individu, appelée volonté, c’est l’apparition de la propriété vivante elle-même, qui est irréductible à toute autre, et l’irritabilité du tissu vivant, d’autre part, ne se retrouve pas moins sous les diverses structures, que la condition logique à travers les modes de penser individuels.

L’esprit se fatigue, dit l’auteur, comme la tension du ressort s’épuise, et le cœur bat des milliards de fois sans s’arrêter, sauf pourtant que la mort s’ensuit enfin ! Et qu’est-ce que la fatigue de l’esprit, sinon l’usure | de la matière cérébrale en même temps ? Il n’est pas besoin de multiplier les objections. L’argumentation du Dr Mühry ne se réduit-elle pas à constater que nous sommes fort éloignés de connaître toutes les relations délicates qui existent entre l’esprit et le corps et de pouvoir rattacher rigoureusement les états psychiques aux états physiologiques ? Personne n’y contredit ; il suffit que la Correspondance ne puisse être niée, et si l’unité à deux faces de M. Bain n’est qu’une expression commode qui a fait fortune, il est du moins avéré qu’on n’a jamais vu l’intelligence se manifester sans le moyen d’un cerveau.

Mais l’auteur nous avertit de ne pas aller si vite, et il nous a réservé ce neuvième cas pour le dernier : Un cerveau n’est pas nécessaire à la pensée, puisque le penser cosmique a précédé la formation du cerveau humain. Les problèmes ultimes se posent à présent devant nous.

3o Problèmes ultimes. — L’ordre de l’univers nous révèle le penser cosmique, un, conscient, infaillible, et, sans l’impulsion de ce penser, on ne saurait comprendre ni les mouvements des astres ni ceux des organismes vivants. Où il réside, comment il agit, on n’en sait rien. L’auteur évite à dessein de se servir des mots dieu, créateur, âme du monde ; à vouloir préciser l’objet de son induction, il risquerait de la compromettre. L’âme humaine est partie du penser cosmique, et identique à lui, mais partie minimum, agent subordonné, et ce penser, dont elle dépend comme tout corps pesant dépend des lois de la gravitation, a toujours été et sera pour elle objet de religion. La « potentialité », dans l’âme, est plus grande que l’actualité, et elle a le sentiment que sa fin n’est pas accomplie dans l’existence terrestre. Kant, Schelling et Hegel, d’un côté, Comte de l’autre, et la plupart des philosophes modernes avec lui, s’en tiennent à un subjectivisme homocentrique, Il faut quitter le point de vue de Ptolémée pour se mettre au point de vue de Copernic, objectiver le pensant, l’intelligent, le voulant. On a beau s’y refuser, force est enfin de se déclarer moniste ou dyoïste (§ 6, 42, 15, 49, note 3 et sch.).