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ceau instructif de géo-physique. Eh bien, pourra-t-on dire, en quoi ces rapports constituent-ils des harmonies, en quoi ces harmonies sont-elles intéressantes, si ce n’est au point dé vue des êtres vivants à la surface de la terre et des diverses planètes ? Quel pauvre monde, dirait de notre terre l’habitant de Jupiter, orgueilleux du rayon onze fois plus grand de sa planète, de l’inclinaison négligeable de son axe sur le plan de son orbite et du magique éclairage de ses quatres lunes ! Mais nous sommes faits au régime de notre globe, comme est fait l’Esquimau à vivre sous le cercle polaire, et l’harmonie est ici accommodation, habitude.

L’auteur, il est vrai, interprète l’accommodation au sens de la finalité et il reproduit en passant (§ 4) l’argument tiré des mécanismes de l’œil et de l’oreille. Ne pourrait-on lui objecter cette fois que ces mécanismes ne sont pas si parfaits, et que bien des rapports dé la nature ne sont pas si favorables, qu’on n’y pût retoucher quelque chose, sans tomber dans la faute du bonhomme Garo souhaitant aux chênes des citrouilles ? Mais laissons cela. Proportionnalité, ajustement, harmonie, ces divers termes, au sens que l’auteur paraît d’abord vouloir leur donner, se ramèneraient en définitive à cette proposition, dont sa philosophie n’est pas satisfaite, qu’il n’y a pas de changement sans cause et dès lors, puisque tout est nécessité dans la nature, mal ou bien, tout y devient exemple à finalité, Mais si l’on veut, avec lui, laissant la science partir de la vis à tergo, construire une philosophie qui parte de la vis in fronte, c’est-à-dire de la considération des causes finales, y a-t-il moyen de se débarrasser tout-à-fait des imaginations gratuites des anciens finalistes ? Quel téléologiste, à moins de soupçonner là fin qui tend à se réaliser à travers les accidents du phénomène, nous dira comment il est arrivé que le jeu des forces nécessaires pour donner naissance à une foule de composés organiques que produit l’art du chimiste ne s’est point rencontré dans la nature ? On né saurait prétendre évidemment, comme tout finaliste y incline, à justifier les fins de la nature, car si nous avons fait la montre, nous n’avons pas fait le monde, et la dernière ressource du Dr Mühry est de nous enfermer dans le fameux dilemme de l’ordre ou du hasard, dont nous discuterons les termes tout à l’heure.

Exposons auparavant sa théorie de l’esprit cosmique, qui est intégrante à sa téléologie.

2o Existence et finalité spéciale de l’esprit. — L’âme existe, objectivement, au même titre que la matière. Elle est instinct dans l’animal, esprit dans l’homme, et l’esprit a une qualité qui le distingue foncièrement de l’instinct : il s’assigne son but à soi-même, quand l’instinct reçoit le sien, et il ne faut pas plus parler de simples différences en degré de l’instinct de l’animal à l’esprit de l’homme, qu’on ne dirait que la lumière réfléchie par la lune diffère seulement en degré de la lumière émise par le soleil. L’auteur s’appuie sur cela pour creuser un abîme entre l’animalité et l’humanité. L’espèce humaine, d’ailleurs, lui apparaît une