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n’avait qu’à l’interroger encore. La puissance des timbres, lui aurait-elle répondu, réside moins dans leurs masses, dans leurs accumulations, dans leur intensité, dans leurs explosions, que dans leurs relations savamment cherchées et établies, dans leurs combinaisons heureuses, dans ces oppositions où tantôt elles s’adoucissent, s’amortissent, tantôt se font valoir et se mettent mutuellement en relief. Ce sont là les petits moyens, mais infaillibles, qui, sous la main des maîtres, et souvent sous la main de Berlioz lui-même, produisent d’étonnants effets.

Quoi qu’il en soit, quelque étendue, variée, pénétrante, caractéristique que se montre la puissance expressive des timbres, elle a des bornes. La plus infranchissable est l’incapacité du timbre, de la voix instrumentale à exprimer ce que la parole seule sait dire. Nous avons donc à chercher maintenant ce que la musique instrumentale perd et gagne soit à se passer, soit à se servir des mots, des titres, des programmes, et en quoi, selon qu’elle emploie ou non les mots, et dans telle mesure ou dans telle autre, elle excite et féconde l’imagination musicale. Nous avons aussi par conséquent à étudier à fond l’imagination musicale au moyen de la méthode psychologique.

Mais, avant de passer à ces autres questions, résumons le présent travail.

La musique dite pittoresque a-t-elle des ressources propres qui la dispenseraient de recourir à des sonorités instrumentales de nature psychologique ?

Cette musique a tous les mêmes éléments que la musique psychologiquement expressive. Pour la mesure, le rythme, la tonalité, c’est évident. Pour le mode, nous avons tenté de l’établir, et notre essai n’a pas encore soulevé d’objection.

Si la musique dite pittoresque a des moyens à elle, ce ne sera donc que dans la classe des timbres. Or elle a absolument les mêmes timbres que la musique expressive. De là l’extrême difficulté de marquer une limite entre ces deux musiques.

Admettons cependant que certains timbres soient particuliers à la musique pittoresque. Elle vise en effet surtout à rendre les bruits de la nature et du monde fantastique. À cette fin, elle se sert principalement des timbres à percussion.

Maïs aucun son d’aucun instrument n’imite fidèlement aucun bruit de la nature, aucun cri, aucune voix. Un timbre instrumental ne peut donc être qu’analogue aux bruits, aux cris, aux voix, et, par cette analogie plus ou moins lointaine, exciter notre imagination à se figurer le bruit de telle chose, le cri ou la voix de tel être. D’où il suit que la musique ne peint rien, n’a ni couleur ni coloris, et qu’elle