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ANALYSES.fouillée. Systèmes de morale.

queur versée dans un vase : si le vase est amer, il rend amère la plus douce liqueur. » La même doctrine subsiste dans le présent livre. M. Fouillée continue à voir le premier fondement de la liberté des opinions et sans doute aussi de la justice en général, dans un fait d’expérience, la spontanéité de l’amour et du bonheur. « Qu’on admette ou rejette le libre arbitre, il demeure toujours vrai que l’amour véritable provient de l’intérieur de l’être, soit d’un déterminisme profond et d’une solidarité naturelle dont il est l’expression sensible, soit d’une détermination volontaire ; dans tous les cas, l’amour ne commence qu’avec la spontanéité. »

Toutefois si l’idéal du bonheur universel suffit pour fonder la fraternité, il n’assure pas sans doute à la justice une base suffisamment solide ; car, M. Fouillée, soit dans sa seconde édition de l’Idée moderne du droit, soit dans cet ouvrage même, juge nécessaire de l’étayer sur un second principe qui est lui aussi un fait d’expérience : la relativité des connaissances humaines. De là dans la partie la plus haute du système une dualité de principes qui semblent juxtaposés plutôt que soudés, et qui font, en quelque sorte, diverger le regard de la pensée, impuissante, malgré ses efforts, à embrasser l’ensemble d’un seul coup d’œil.

Peut-être faut-il chercher la raison de cet appel au principe de la relativité dans le désir de donner à la justice un fondement plus positif qu’un simple idéal : cette interprétation paraît résulter du passage suivant de la seconde édition de l’Idée moderne du droit. « (P. 275.) L’égoïsme est l’affirmation symbolique de la division ou opposition radicale des êtres et des consciences, de l’atomisme moral ; la fraternité est l’affirmation symbolique d’une union radicale : ce sont deux hypothèses en action sur ce que nous ne connaissons pas, sur la loi fondamentale de l’univers et de l’individu, mais la justice, elle, qui ne fait qu’affirmer pratiquement notre ignorance du fond des choses et des consciences, est infiniment moins hypothétique : elle n’est pour ainsi dire que la sincérité d’une pensée en accord avec elle-même dans la pratique comme dans la théorie. » Ainsi le principe de Ia relativité jouerait dans la morale de M. Fouillée un rôle analogue à celui de la volonté divine dans la morale de certains théologiens et philosophes : il transformerait le droit sinon en impératif, du moins en limitatif catégorique. Il n’est pas seulement désirable, pourrait-on dire, en vue du bonheur universel lui-même, que chaque personne respecte l’activité des autres ; c’est là une nécessité qui résulte pour elles toutes des bornes mêmes de leur connaissance.

Par quel enchaînement d’idées M. Fouillée a-t-il été amené à chercher dans le principe de la relativité des connaissances, le fondement de la justice et la condition suprême de toute moralité ? Déjà dans la première édition de l’Idée moderne du droit, on voyait apparaître le principe, mais il ne portait pas encore son véritable nom.

« La science, disait M. Fouillée, n’a pas encore, pour ainsi dire, percé