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ANALYSES.ducros. Schopenhauer.

ait tort ou raison d’opter pour le criticisme, c’est ce que nous n’avons pas à examiner, d’autant plus qu’il n’a nullement prétendu donner en quelques pages les raisons qui l’ont décidé à se rallier au criticisme, ni réfuter les arguments de ceux qui maintiennent l’existence d’une chose en soi. Nous ferons seulement remarquer que M. Ducros oublie une troisième alternative : aux substantialistes qui affirment l’existence de la chose en soi, aux criticistes qui la nient, s’opposeraient les sceptiques qui suspendraient leur jugement et refuseraient de se prononcer sur cette question.

Mais la thèse de M. Ducros est avant tout un ouvrage historique et c’est uniquement au point de vue historique que nous nous placerons pour en apprécier brièvement l’intérêt et la valeur.

On ne saurait dire que Schopenhauer soit un inconnu en France : il a été mentionné, en 1856, par Saint-René Taillandier dans un article de la Revue des Deux-Mondes. M. Foucher de Careil lui a consacré, en 1862, tout un ouvrage dans lequel il le rapprochait de Hègel ; M. Challemel-Lacour l’a présenté, en 1870, dans la Revue des Deux-Mondes comme un boudhiste contemporain. M. Léon Dumont, dans la Revue scientifique, a fait, en 1873, une critique très vive de la théorie de la volonté que Schopenhauer confond étrangement avec la chose en soi, c’est-à-dire avec la substance ; il a montré que la doctrine de la volonté comme chose en soi est en germe dans Kant ; que sa métaphysique se rapproche singulièrement de celles de Fichte, de Schelling et de Hégel ; il a rappelé que Weisse avait émis dès 1856 l’idée qu’il y avait quelque analogie entre le système de Schopenhauer et celui de Schelling, ce qui l’avait fait accuser par Schopenhauer « d’avoir une rancune contre lui » ; il a signalé le livre où Hartmann avait présenté la philosophie positive de Schopenhauer comme une conciliation de Hégel et de Schelling. En 1874, M. Th. Ribot donnait une exposition substantielle et précise de la philosophie de Schopenhauer, dans laquelle il montrait que Schopenhauer était par certains côtés le continuateur de Kant et que sa conception était intermédiaire entre son maître Kant et ses ennemis, Schelling et Hégel. « Avec les précédents travaux, dit M. Lévêque, on peut connaître Schopenhauer ; avec celui-ci on peut l’étudier. » Dans le Journal des Savants où il rendait compte du livre de M. Ribot, M. Lévêque, tout en s’attachant surtout à l’esthétique de Schopenhauer, recherchait en quoi il est kantien et remarquait les analogies de sa doctrine avec celle de ceux que Schopenhauer appelait les trois sophistes. En 1875, M. Nolen, dans son livre sur la Critique de Kant et la Métaphysique de Leibnitz, consacrait un chapitre à Schopenhauer, admettait la vérité du rapprochement établi par Haym entre Schopenhauer et Fichte, signalait les rapports de Schopenhauer avec Kant, Schelling et Hégel, et montrait même quelques analogies entre Leibnitz et Schopenhauer. La même année, M. Émile Charles, dans le Dictionnaire philosophique, donnait une brève analyse de la « Quadruple racine du principe de raison suffisante » et du « Monde comme représentation et comme volonté » ; il affirmait