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ANALYSES.ducros. Schopenhauer.

but plus lointain de la nature ; la conscience en est le but immédiat et la vie est la condition de la conscience. Le monde est un immense organisme dont les organismes particuliers ne sont que des limitations ultérieures,

Les trois grands principes de la philosophie de la nature sont pour Schelling : 1o l’idée d’un développement continu, d’une évolution ; 2o au sein de cette évolution, l’unité de forme ou l’unité de plan, 3o ce plan est exécuté par une force unique.

Schopenhauer a, dans son ouvrage sur la Volonté dans la nature, réagi contre l’intellectualisme absolu de Hegel comme Schelling avait réagi contre l’idéalisme pur de Fichte. Sans doute, Schopenhauer se montre plus fidèle que Schelling à la méthode expérimentale, mais il y a entre leurs systèmes des analogies frappantes. Tous deux admettent une évolution idéale des êtres, qui en est plutôt une explication rationnelle qu’une histoire réelle ; tous deux expliquent la nature, non seulement par des causes finales, mais même par des idées au sens platonicien du mot ; pour tous deux, la nature méprise l’individu dont elle ne se se sert que pour conserver l’espèce. Enfin il n’y a pour l’un et l’autre que des forces, dont le jeu incessant produit l’infinie variété des phénomènes ; et ces forces ne sont que l’expression d’une force unique qui est, pour Schelling comme pour Schopenhauer, une volonté inconsciente et aveugle.

Schopenhauer n’a donc pas été uniquement kantien : les principes essentiels de sa métaphysique de la volonté se trouvent déjà dans Fichte et dans Schelling, et s’il ne les leur a pas empruntés, il les reproduit après eux. Schopenhauer se dit un homme de l’avenir ; à ne considérer que sa métaphysique, il est bien plutôt un homme du passé.

Il. La conclusion de M. Ducros est sévère pour Schopenhauer : La philosophie de Schopenhauer, dit-il, est pétrie de contradictions, parce que cette philosophie renferme dans son sein deux systèmes qui sont la négation l’un de l’autre : un idéalisme critique et un réalisme dogmatique. La source principale des contradictions de Schopenhauer, c’est la théorie de la chose en soi.

Tout objet, dit Schopenhauer, n’est que par et pour le sujet ; mais la vraie réalité est un objet indépendant du sujet que Schopenhauer place au-dessus du temps, de l’espace et de la causalité, les trois conditions de toute connaissance. Loin d’être l’inintelligible suprême comme on serait disposé à le croire, il est ce que Schopenhauer connaît le mieux, grâce à la méthode intérieure. Mais cette méthode ne saurait nous mettre en possession de vérités inaccessibles à la connaissance proprement dite : car la conscience ne nous donne que ce qui appartient au domaine du relatif, que ce qui fait partie du monde des phénomènes.

D’ailleurs une chose en soi ne peut être connue que si elle se soumet aux lois de la connaissance, c’est-à-dire que si elle cesse d’être une chose en soi, ou si elle veut véritablement rester une chose en soi, il faut qu’elle soit inconnue même à Schopenhauer. Et Schopenhauer