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lonté, il veut dire par là que le sujet sensible est l’œuvre, la projection de la spontanéité, qui est la source commune de l’intelligence et de la volonté. La chose en soi n’est qu’une place vide que le sujet remplit par un concept qu’il a formé lui-même sans le savoir.

La spontanéité infinie et absolue dans laquelle Fichte découvre le premier principe du savoir se limite elle-même et devient un moi.

Par là même, elle s’objective, mais sans le savoir, dans un non-moi, qui lui apparaît comme extérieur et opposé, comme indépendant et subsistant par lui-même, c’est-à-dire comme une chose en soi. La chose en soi n’est donc en dernière analyse qu’une illusion de l’esprit qui méconnaît son œuvre.

Mais qu’est-ce que ce moi d’où tout part et où tout se ramène ? C’est la chose en soi que Fichte voulait bannir définitivement de la philosophie, Ce moi est inconcevable, et Fichte n’en connaît que l’absolue apparition, comme Schopenhauer ne saisit dans la volonté que la manifestation immédiate de la chose en soi. Quelle est donc là nature de cet absolu connu par la manière dont il se manifeste ? C’est l’activité : Fichte a considéré tantôt l’intelligence et tantôt la volonté comme l’attribut principal de cette activité. C’est dans la Doctrine des mœurs et dans la Destination de l’homme qu’il a surtout développé ce dernier point de vue. La volonté, qui est individuelle chez Kant, devient universelle chez Fichte, elle est inconsciente et crée l’univers qui n’est que le phénomène de la volonté. Sans doute la volonté est morale chez Fichte, tandis qu’elle est physique chez Schopenhauer, mais par tous les autres caractères que lui a reconnus ce dernier, il s’est rapproché du philosophe qu’il avait si vivement combattu.

« Schopenhauer dit tant de mal de Schelling qu’on peut soupçonner d’avance qu’il lui doit beaucoup. »

La nature n’était pour Fichte qu’une matière rebelle qu’il fallait dompter pour atteindre le but suprême de là destinée humaine, là moralité, Schelling, qui avait appris à l’école des Grecs à regarder la nature autant et plus peut-être en poète qu’en philosophe, qui s’inspire plutôt de la « Critique du Jugement » que de la « Critique de la Raison pratique, » donne à la nature une place beaucoup plus importante, Comme Fichte, Schelling combat la chose en soi et croit la faire disparaître en adoptant un « monisme critique » dans lequel la nature, esprit visible, et l’esprit, nature invisible, ont pour principe le moi. Nos intuitions résultent du jeu continuel des deux forces antagonistes, de l’activité infinie (répulsive) et de l’activité finie (attractive) qui sont originairement dans le moi. Lorsque l’esprit rentre en lui-même et devient conscient, le produit de sa double activité lui apparaît comme un objet extérieur. La nature entière est l’œuvre de l’activité de l’esprit, antérieure à l’apparition de la conscience, et la conscience elle-même n’est qué le but suprême et dernier de cette marche ascendante de l’esprit. La philosophie de la nature est donc à la fois une théorie de la connaissance et une psychologie objectivée. La morale n’est plus pour Schelling qué le