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comme ceux dépendant d’une névrose, les phénomènes psychiques seront en somme les mêmes. « Les délires des hystéro-épileptiques, des épileptiques, des absinthiques, des alcooliques, des hachichés, des fumeurs d’opium, sont de même essence. Tous se ressemblent ; ce ne sont que les variations d’une même maladie » (p. 503). Et si ce trouble est au fond toujours identique, c’est qu’il porte d’abord toujours sur un même organe, sur la partie la plus délicate de tout l’appareil nerveux, sur les cellules de la substance grise corticale « qui président à l’intelligente ». Et, comme un poison quelconque, avant d’abolir l’activité de la cellule nerveuse, la surexcité, on voit se produire en premier lieu tous les phénomènes d’excitation sensorielle et intellectuelle qui caractérisent l’ivresse par exemple, puis la paralysie survient.

Tel est le fait général avec lequel les phénomènes particuliers s’accordent tous. Voici, par exemple, une intéressante observation à propos de la mémoire : quand les poisons de l’intelligence agissent sur la mémoire, ils n’altèrent que la mémoire réfléchie, consciente, celle qui est possible seulement si la volonté et l’attention sont intactes ; la mémoire passive et inconsciente, comme dit M. Richet, reste inaltérée (p. 113). « Il y a donc lieu, écrit l’auteur, de distinguer la mémoire qui retient de la mémoire qui a retenu. » (Ibid.) Or les mêmes troubles de la mémoire s’observent encore chez les somnambules. Et c’est pour la même raison, il y a perturbation dans le fonctionnement des cellules de la substance grise corticale, la réaction volontaire n’a plus lieu.

Il s’agirait, maintenant de savoir en quoi consiste cette impuissance de la volonté, si caractéristique dans l’état de somnambulisme, comme chez les hystériques et comme dans l’empoisonnement de l’intelligence. M. Richet a tenté de l’expliquer par une amnésie, Il croit, d’une part, qu’il n’existe pas de force spontanée dirigeant l’intelligence et que la volonté, dans le sens où l’entendent les écoles spiritualistes, est une hypothèse inutile. « Cette force, dit-il, n’est peut-être rien autre que le souvenir des excitations antérieures accumulées dans l’esprit. Chez tout individu sain, il y a, coexistant l’une à côté de l’autre, un grand nombre d’idées qui se balancent et se compensent mutuellement. Toutes ces idées étant simultanément présentes à la conscience, c’est de cette balance, de cet équilibre, que résulte la spontanéité apparente de notre être » (p. 231). Et, d’autre part, M. Richet pense que chez les somnambules la mémoire simultanée de plusieurs idées fait défaut, la conscience étant abolie. « Si l’on suppose[1], comme cela est extrêmement vraisemblable, que chez les somnambules il n’y a plus conscience d’idées simultanées, naturellement l’équilibre ne pourra plus s’établir, et l’idée unique, suscitée par l’excitation du dehors, ne sera plus compensée par des idées voisines. Dans le somnambulisme, ce n’est donc pas la spontanéité cérébrale qui est anéantie, — car il est très douteux que cette spontanéité existe jamais, — c’est la mémoire consciente des

  1. Ces lignes font immédiatement suite à la citation précédente.