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Cette étude forme vraiment le centre de son livre, car les deux essais sur les démoniaques d’aujourd’hui (hystériques) et les démoniaques d’autrefois (sorciers, démonomanes du moyen âge) s’y rattachent naturellement, et il y faut joindre encore un bon nombre des notes de l’appendice. Les faits importants sont bien mis en lumière. M. Ch. Richet distingue trois périodes dans le somnambulisme, quel que soit le moyen par lequel ou l’ait produit (fixation d’un objet brillant, passes magné tiques, pression sur les globes oculaires, etc) : période de torpeur, période d’excitation, période de stupeur. C’est la deuxième qui est la plus importante pour les psychologues. L’auteur l’a même ainsi appelée parce que le phénomène dominant consiste dans une très grande excitation intellectuelle. Celle-ci se manifeste principalement, d’après les nombreuses observations que donne M. Richet, par des hallucinations extrêmement faciles à produire et par diverses modifications de l’état affectif et intellectuel, exagération de la sensibilité morale, exaltation de la mémoire passive et suppression de la mémoire active, abolition plus ou moins complète, au réveil, du souvenir des faits qui se sont passés pendant le sommeil et retour de ce souvenir lors d’une nouvelle attaque de somnambulisme, par conséquent dédoublement, dans une certaine mesure, de la personnalité. Il y a, bien entendu, des phénomènes somatiques concomitants, dont il suffit ici de rappeler l’existence. Mais le fait capital, c’est l’absence d’idées spontanées ou paraissant telles ; cet automatisme, auquel on peut rattacher l’état de suggestion, concorde avec un état somatique qui est l’automatisme du mouvement. « Si l’on prie un sujet endormi, dit M. Ch. Richet, de dire à quoi il pense, il répondra toujours qu’il ne pense à rien et qu’il n’a pas d’idées. Il faut prendre cette réponse au pied de la lettre. Un somnambule ne pense à rien. Son intelligence est vide, c’est l’obscurité absolue. Cette inertie psychique se manifeste par l’inertie complète de la physionomie et des mouvements volontaires.

« Mais que l’on vienne au milieu de cette obscurité profonde à présenter une image ou une idée, aussitôt cette idée deviendra prépondérante et occupera l’imagination tout entière.

« L’inertie psychique explique donc la vivacité des impressions ; elle explique aussi, dans une certaine mesuré, l’automatisme » (pp. 184-185).

On conçoit tout l’intérêt, pour la psychologie, d’une explication de ce singulier état. Malheureusement celle qu’a pu donner la physiologie est encore entachée d’hypothèse. Un grand nombre d’expériences, dont les premières, dues à Setschenoff, remontent déjà à l’année 1864, ont montré que les centres nerveux supérieurs paraissent exercer une sorte d’action modératrice sur les phénomènes nerveux réflexes et automatiques. Le fait est réel et incontestable. Mais l’hypothèse commence quand on essaye de se rendre compte de la nature de ces actions modératrices. La question n’est pas à discuter ici ; on voit d’ailleurs que pour le moment c’est le fait lui-même qui est important au point de vue psychologique. Il ressort en effet de toutes les observations