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aborder ce sujet. « Il n’est pas, conclut-il, une seule pensée qui ne se traduise par un mouvement, par un geste, par une attitude involontaire. — Réciproquement, une attitude imitée sans idée préconçue, comme le font souvent les petits enfants, un geste sans intention éveillent dans l’esprit certaines tendances corrélatives. »

Quelle est l’utilité de cette double et réciproque correspondance entre l’organe pensant et le reste du corps ? Elle ressort assez des considérations exposées au commencement de ce paragraphe pour que nous n’ayons pas à y insister de nouveau. Nous avons indiqué, d’autre part, dans le paragraphe iv, comment la réaction du cerveau sur les organes constitue la condition la plus puissante du progrès, puisque c’est grâce à cette réaction que l’intelligence se multiplie elle-même en quelque sorte, en actionnant les organes auxquelles elle doit ses perfectionnements successifs : organes de préhension, de fabrication, de manipulation, grâce auxquels l’homme peut se procurer des outils, des instruments qui centuplent le pouvoir de ses sens et qui augmentent même le nombre de ces derniers ; organes de locomotion, qui multiplient les rapports des sens avec le monde extérieur ; organes de l’expression mimique, orale ou écrite, qui transmettent en quelque sorte les idées toutes faites d’un individu à l’autre, qui, chez l’homme servent à transmettre des idées très complexes et qui lui servent à représenter ces idées si simplement, qu’il peut s’en servir ensuite pour s’élever à des idées plus complexes encore.

Ii n’est pas jusqu’aux organes de la vie purement végétative que l’organe de la pensée ne semble animer d’un influx supérieur. Peut-être est-ce grâce à cette action que les fonctions inférieures acquièrent une régularité plus grande, s’opèrent avec une économie plus sage, permettant la diminution de leur développement quantitatif comparé à celui des autres fonctions, ainsi qu’on l’observe dans l’espèce humaine et au plus haut degré dans les races les plus civilisées. Peut-être est-ce à l’action régulatrice du cerveau qu’est due cette série de transformations grâce auxquelles les appareils organiques inférieurs, d’abord prépondérants, sont devenus peu à peu, de maîtres qu’ils étaient, les humbles serviteurs de l’esprit. À mesure que s’accroît le volume du cerveau humain, en tant que ce volume est déterminé par le progrès de l’intelligence, nous voyons diminuer le poids des mâchoires relativement à la masse du corps[1], au point que nos dents diminuent en nombre et s’altèrent faute d’une place suffisante (Mantegazza, Amadei, Morselli, Bertillon). Et cependant

  1. Voyez à ce sujet les chapitres iv et vii de notre mémoire sur le développement quantitatif comparé de l’encéphale et de diverses parties du squelette. (Paris, 1882 et Société zoologique de France, VII.)