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MANOUVRIER. — la fonction psycho-motrice

au point qu’il peut s’établir un antagonisme entre les tendances du cerveau et les besoins de l’organisme lorsque, par le fait de l’éducation et du milieu, les éléments cérébraux développés sous l’influence des impressions visuelles et auditives, si nombreuses et si complexes, forment une masse considérable servant de substratum à des associations d’idées vraies ou fausses, à des combinaisons bonnes ou mauvaises, à des habitudes avantageuses ou funestes. Come l’âme des spiritualistes, cette masse cérébrale peut donc avoir des besoins contraires à ceux du corps, quelquefois même entrer en lutte avec les parties du cerveau les plus directement en rapport avec les sens internes. Ces dernières sont mieux disposées à s’acquitter de leur fonction centrale d’une façon conforme aux besoins des organes, tandis que les parties qui représentent l’âme immatérielle peuvent montrer vis-à-vis du corps un désintéressement poussé jusqu’à l’altruisme. Nous ne pousserons pas plus loin ces rapprochements entre l’âme classique et l’âme matérielle sur lesquels on pourrait écrire un livre assez curieux.

On pourrait écrire un livre non moins intéressant en rattachant à l’action motrice du cerveau ces innombrables exemples cités à l’appui de l’influence du « moral sur le physique », suivant l’expression de Cabanis[1], ou bien de « l’imagination sur le mouvement du corps de l’être qui imagine », suivant l’expression de Gratiolet[2]. Mais un tel livre n’aurait guère pour le moment d’autre utilité que celle d’ajouter un grand nombre de faits nouvellement connus à ceux qui ont été rassemblés par les anciens auteurs. L’interprétation, il faut l’avouer, pour un peu plus positive qu’elle serait dans la forme, n’en serait pas beaucoup plus avancée quant au fond, car la science n’a pas encore pénétré bien avant dans les profondeurs de la question que nous traitons ici.

Cabanis matérialisait déjà passablement les rapports du physique et du moral, ainsi qu’on peut le voir surtout dans le xie mémoire de son livre. « Les prolongements de l’organe cérébral, dit-il[3], se distribuant à toutes les parties et s’épanouissant en quelque sorte sur tous les points, elles ne lui sont pas seulement unies par les rapports d’une organisation commune et par ceux de continuité : sa substance entre encore dans leur intime composition, il y est présent partout…

Ainsi l’on voit que le système cérébral doit exercer constamment une puissance très étendue sur toutes les parties de la machine vi-

  1. Cabanis, Rapports du physique et du moral de l’homme.
  2. Gratiolet et Leuret, Anatomie comparée du système nerveux considéré dans ses rapports avec l’intelligence, t.  II.
  3. Loc. cit., 3e édition, p. 424, 1815.