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sur ce point. Ce que nous avons voulu établir, c’est que l’accroissement en nombre et en variété des connexions de tous les appareils organiques avec le centre nerveux le plus complexe est une condition de perfectionnement physiologique des plus importantes. Au point de vue de la fonction motrice du cerveau, on peut comparer cet appareil au gouvernement politique d’une fédération. Ce gouvernement reçoit de tous les états fédérés des contributions (courants nerveux) et des renseignements qu’il centralise. Il reçoit en même temps des renseignements extérieurs (sens externes). Dès lors plus riche et mieux renseigné que chacun, plus désintéressé aussi, il répartit les fonds qu’il a reçus d’une façon d’autant plus conforme aux intérêts particuliers et à la prospérité générale qu’il a été plus exactement et plus complètement renseigné. Cette action centrale n’est pas incompatible avec l’administration de chaque état par un centre secondaire ; elle dirige celle-ci, lui vient en aide, enfin réprime ses écarts s’il y a lieu. Telle est l’action cérébrale. Est-il nécessaire pour en expliquer le mécanisme de recourir à l’hypothèse enfantine de quelque être métaphysique logé dans le cerveau et se comportant là comme l’employé d’un bureau téléphonique ? Nous ignorons, il est vrai, le mécanisme intime interposé entre la sensation et l’action ; mais nous savons que les phénomènes de sensibilité et les phénomènes de mouvement sont étroitement liés entre eux et peuvent se provoquer réciproquement, de même que dans un piano l’on peut faire mouvoir les marteaux intérieurs en frappant sur les touches et vice versa. Entre les phénomènes cérébraux de sensibilité et les phénomènes de réaction, nous sommes conduits à supposer de même un enchevêtrement plus ou moins complexe de fils unissant les uns aux autres, mais ces fils ne sont pas tenus par la conscience. La conscience, comme le son produit par un piano, n’est qu’un épiphénomène résultant du jeu du mécanisme, et, dans l’espèce, en constatant les effets. Si le son dépend en partie du mécanisme, il ne le produit pas, n’influe en rien sur lui ; la conscience n’influe pas davantage sur les phénomènes cérébraux dont elle n’est, pour ainsi dire, que le témoin inactif et impuissant.

La doctrine exposée ci-dessus ne conteste nullement les propriétés autrefois attribuées à l’âme humaine, sauf l’immatérialité et l’immortalité. Elle attribue seulement ces propriétés au cerveau ou aux parties supérieures de cet appareil qui, par ses rapports incessants avec le monde extérieur, par les sensations, les idées indépendantes de l’organisme qu’il reçoit constamment, par la vue et l’ouïe surtout, se trouve être vraiment indépendant du reste du corps dans une certaine mesure et, chez l’homme, dans une très large mesure. C’est