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CH. FÉRÉ. — des troubles de l’usage des signes

À côté de la cécité des mots il existe une cécité psychique dans laquelle la mémoire des signes écrits est respectée, mais le sujet a perdu la mémoire des formes et des couleurs ; tels étaient deux malades de M. Charcot[1] qui étaient incapables, l’un de se rappeler, et par conséquent de tracer, la forme d’une ogive ou d’un plein cintre, bien qu’il fût peintre ; et l’autre, de donner une description quelconque de la physionomie de sa femme avec laquelle il vivait depuis plus de dix ans. Ces sujets eussent été des agraphiques s’il s’avaient dû se servir de caractères symboliques.

Ces divers troubles de l’usage des signes, cécité et surdité verbales, aphasie et agraphie, se rencontrent quelquefois à l’état d’isolement, et c’est là une circonstance heureuse dans l’espèce puisqu’elle fournit de précieux sujets d’études des mémoires locales ; mais bien plus fréquemment on les trouve à l’état de combinaison. Bon nombre de malades ont à la fois de la difficulté à exprimer leur pensée par la parole, à comprendre ce qu’on leur dit et ce qu’ils disent et ils écrivent incorrectement et avec difficulté.

Et il faut ajouter que, chez les aphasiques, les facultés intellectuelles sont toujours affectées. Lordat assure qu’il était capable de coordonner une leçon avec sa lucidité ordinaire ; mais s’il faut en croire Trousseau, après la guérison de son aphasie, il était resté inférieur à ce qu’il était avant son accident. Il est certain que tous offrent au moins une certaine lenteur des opérations cérébrales ; et, dans les cas d’aphasie complète, cette obnubilation des facultés peut aller jusqu’à un état voisin de la démence.

Aux troubles fonctionnels limités de l’expression et de la perception des signes correspondent des lésions anatomiques aussi limitées.

La localisation la plus ancienne est celle de la lésion de l’aphasie ; et c’est encore le point le mieux établi de la doctrine des localisations cérébrales. Quelle que soit la nature de la lésion, elle occupe, on peut dire constamment, la partie postérieure de la troisième circonvolution frontale, la région de Broca, ou la région voisine de l’insula de Reil. (Fig. I.)

Il peut arriver que les couches superficielles de ces régions soient intactes, et que les troubles du langage articulé reconnaissent pour cause une lésion profonde qui détruit les fibres blanches partant des cellules motrices de la couche corticale. (Fig. II.)

Ordinairement, c’est à gauche que siègent les altérations ; quand,

  1. Charcot. Un cas de suppression brusque et isolée de la vision mentale des signes et des objets (Progrès médical, 1883).