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CH. FÉRÉ. — des troubles de l’usage des signes

Le plus souvent ce trouble de l’écriture se manifeste parallèlement à ceux du langage articulé ; mais il peut arriver que les deux ordres de phénomènes morbides existent isolément. Si bon-nombre d’aphasiques ont conservé la faculté d’écrire, il peut aussi arriver, quoique plus rarement, qu’un agraphique ait conservé la parole ; le malade voit, entend, comprend, parle distinctement, se sert de sa main droite pour tous les usages de la vie ; mais lorsqu’il s’agit d’écrire, cela lui est impossible. Il faut noter d’ailleurs que comme l’aphasie, l’agraphie a ses degrés. Certains sujets ne peuvent écrire que sous la dictée, ils sont incapables de composer ; et ordinairement, il faut dicter chaque lettre séparément pour qu’ils puissent arriver à la former. D’autre fois le trouble est plus profond et le malade ne peut que copier les lettres qu’il voit et encore ne copie-t-il que les lettres cursives : on le voit alors s’appliquer à dessiner chaque lettre isolément. S’il lui est impossible de copier les caractères d’imprimerie, c’est qu’il n’était pas habitué autrefois à les tracer, il a moins encore dans la main les mouvements qui lui seraient nécessaires. Tel était le malade que nous avons observé avec M. Charcot et qui offrait en outre une particularité intéressante : c’était un Russe qui, avant sa maladie, savait assez bien le français et un peu l’allemand ; depuis l’accident il parlait encore très correctement sa langue maternelle, le français avec un peu de difficulté ; mais il avait perdu à peu près complètement l’allemand ; il était devenu aphasique dans la langue qu’il savait le moins. Quand il s’agissait d’écrire, il ne pouvait faire aucun caractère allemand ou français ; et en russe, il lui en restait assez peu pour qu’il fût incapable de signer son nom. Peu à peu les lettres russes, puis les françaises lui revinrent en mémoire ; et, dans les deux langues, il commença à écrire en dessinant les lettres cursives qu’on lui mettait devant les yeux.

Certains sujets, qui ont perdu la mémoire des signes phonétiques, ont conservé à un certain degré la faculté de représenter les objets par le dessin : d’autres ont perdu même cette faculté. Un paralytique général se présentait récemment à la consultation de la Salpétrière, qui avait perdu momentanément la possibilité d’écrire ou de copier de la musique.

La plupart des aphasiques ont conservé les signes fournis par la mimique  ; et, il convient de remarquer qu’on ne paraît pas avoir jamais observé leur perte isolée, ce qui s’explique par ce fait que les signes qui constituent l’expression mimique ne sont que la reproduction de mouvements adaptés à d’autres fonctions qui ne sont point perverties. Certains sujets toutefois qui ne peuvent s’exprimer par