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CH. FÉRÉ. — des troubles de l’usage des signes

ble de se mouvoir, il prouve par ses actes qu’il se rend parfaitement compte de l’usage respectif des choses qui l’entourent : si on lui demande un objet, il le donne sans hésiter ; il sait compter exactement une somme d’argent ; il met une carte ou un domino à sa place dans le jeu ; il peut indiquer avec ses doigts son âge, l’heure, sa fortune, etc. ; il est même capable d’écrire correctement et de faire comprendre ainsi des désirs appropriés aux circonstances. Mais si vous lui demandez une réponse vocale, il ne pourra pas même répondre « non », il ne pourra que traduire son impuissance par des gestes plus ou moins expressifs et désespérés. Si vous l’engagez à essayer encore, il contracte sa poitrine et son larynx ; mais il ne peut produire qu’une expiration bruyante, sa langue se refuse à tout mouvement d’articulation, bien qu’elle soit capable de se mouvoir dans tous les sens. Il continue à entendre la parole intérieure, il sait ce qu’il faut dire, mais il est incapable d’exécuter aucun mouvement spécialisé. Ce malade est atteint d’une aphasie totale, c’est un muet.

Plus communément, il reste une syllabe, un mot, une phrase, qui sont appliqués en toute circonstance. Le plus souvent, les aphasiques monosyllabiques ont conservé une syllabe qui n’a aucun sens : ta, ta, ou tan, tan, pan, pan, etc. ; quelquefois, ils disent oui ou non, mais ils ne sont pas capables de faire une application convenable du mot que souvent démentent leurs gestes. Si plusieurs syllabes sont conservées, elles forment quelquefois un mot régulier ; mais souvent c’est une réunion de sons sans signification ; un malade de Trousseau répétait coussi, coussi, une autre de M. Charcot répondait à tout macassa, macassa ; et il est à remarquer que lorsqu’un mot régulier est conservé, c’est souvent un mot grossier, un juron. De même s’il s’agit d’une phrase ; et le malade la place à tout propos.

Il peut arriver que, sous l’influence d’une émotion morale, ces sujets prononcent correctement une interjection, une phrase entière appropriée à la circonstance, et dont ils auront immédiatement après perdu tout souvenir. Certains malades qui ont conservé la mémoire de l’expression musicale, peuvent parler en chantant ; d’autres peuvent seulement chanter une chanson, d’autres enfin, ne peuvent que donner le ton sans les paroles.

Souvent l’aphasie se présente à des degrés atténués : quelques malades conservent un certain nombre de mots, peuvent même construire des phrases ; mais il leur manque des mots, quelquefois les noms propres ou tous les substantifs. D’autres fois, le malade oublie le verbe, et construit des phrases d’une façon défectueuse ; il intervertit l’ordre grammatical des mots : c’est ce qu’on appelle quelquefois l’agrammatisme  ; ou bien encore il remplace les mots