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CH. FÉRÉ. — des troubles de l’usage des signes

Ces dénominations mal appropriées à l’ensemble des troubles de l’usage des signes n’ont pu être acceptées qu’en raison du développement historique de la question. C’est en effet par l’étude des troubles du langage articulé que le voile a été soulevé.

Ce point d’histoire scientifique a, d’ailleurs, été l’objet de nombreuses discussions ; et, tout récemment encore, il a donné lieu à des revendications injustes ; aussi, pensons-nous qu’il mérite de nous arrêter un instant.

Il est passé dans les habitudes d’attribuer à Gall[1] la paternité du langage articulé ; mais la découverte de cet anatomiste est toute autre. Il avait remarqué que quelques enfants qui apprenaient facilement leurs leçons avaient les yeux saillants, il en conclut que la région orbitaire de leur cerveau était très volumineuse, et, par suite, que c’était dans cette région que siégeait la mémoire des mots. On peut retrouver là l’idée des mémoires partielles ou locales ; mais non un argument en faveur de la localisation du langage articulé. C’est en se fondant sur des observations d’aphasie que Bouillaud (1825) borne sa localisation dans les lobes antérieurs du cerveau. Puis Dax (1836), remarquant que la perte de la parole coïncidait avec la paralysie du côté droit du corps, place la lésion qui la produit dans l’hémisphère gauche du cerveau, en raison de l’action croisée des parties symétriques de cet organe ; mais il n’a jamais fait d’autopsie ; ce n’est donc que par un abus de langage qu’on a pu prétendre lui attribuer une localisation précise d’un trouble d’ailleurs mal étudié, au point de vue clinique.

C’est Broca (1861)[2] qui, le premier, a mis en face d’une bonne observation clinique une autopsie régulière ; c’est lui qui, le premier, a rapporté la perte du langage articulé, l’aphasie motrice nettement définie, à une lésion localisée avec précision dans une région limitée de l’écorce du cerveau, dans la partie postérieure de la troisième circonvolution frontale. Si on a dit, avec raison, que le dessin est la probité de l’art, il n’est pas moins vrai que la précision est la probité de la science ; c’est elle seule qui permet de distinguer le vrai du faux. Or, dans l’espèce, c’est Broca le premier qui s’est exprimé avec précision et qui a montré la vérité. Sans doute on peut faire remonter à Hippocrate, et plus haut, la première observation de trouble du langage ; mais il ne suffisait pas de voir, il fallait comprendre. Sans doute Lordat a exprimé et décrit des troubles dans lesquels M. Grasset[3],

  1. Gall et Spurzheim. Anatomie et physiologie du système nerveux. 1810, 1815.
  2. Broca. Mémoire sur l’aphémie, etc. (Bull. Soc. anat., 1861.)
  3. Grasset. Contribution à l’étude des aphasies, Montpellier, 1884.