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ANALYSES.gumplowicz. Der Rassenkampf.

série de considérations intéressantes qui témoignent d’une réelle originalité de pensée. Ainsi, sur le triple domaine de la race, de la langue et de la religion, M. Gumplowicz arrive à l’idée de la pluralité, d’un grand nombre d’espèces se mélangeant et évoluant sous l’empire des lois naturelles.

Dans le livre IV  : Le processus naturel de l’histoire, l’auteur étudie les lois de l’évolution sociale telle qu’elle doit se produire au sein de la pluralité de groupes, avec laquelle seule l’histoire et la sociologie ont à compter, Les combinaisons sont variées, mais les facteurs du processus sont constamment les mêmes. [ei nous rencontrons l’idée si répandue de l’ascension de l’humanité vers un état idéal, dont elle se rapproche constamment. Nos connaissances historiques, qui ne nous permettent pas de remonter très haut, ne confirment pas cette vue ; elles nous mènent, au contraire, à la reconnaissance d’une loi de perpétuelle égalité entre les époques. Partant de cette constatation et remontant par la pensée jusqu’à l’apparition même des races humaines, nous devons conclure que le processus naturel à toujours dû se manifester de la même façon. L’idée du progrès doit donc céder la place à celle de perpétuelle égalité (ewige Wesensgleichheit). Il y a une évolution constante, et cette évolution donne indéfiniment naissance à des phénomènes d’agrégation et de dissolution ; de grands États se forment, arrivent à maturité et tombent. M. Gumplowicz entre sur ce point dans des détails où nous regrettons de n’avoir pas le loisir de le suivre.

Dans un livre cinquième et dernier : Applications historiques, l’auteur montre comment les lois sociales qu’il a dégagées dans les pages précédentes, et en particulier la loi suprême de l’égalité, se vérifient par l’examen du rôle des principaux groupes dont l’histoire nous apprend l’existence : Égypte, Babylonie, Assyrie, Perse, Jade, Chine, Europe. — Sa pensée se dégage dans quelques considérations finales.

En matière sociologique « il n’y a ni progrès, ni recul, et il ne saurait en être autrement non plus, les hommes étant toujours les mêmes, les éléments humains étant toujours animés par les mêmes forces, la qualité et la quantité de ces forces étant constamment les mêmes. C’est également une illusion de croire qu’on ait opéré et qu’on doive opérer à notre époque des inventions plus grandes qu’il y a des milliers d’années. Pas moins, je le veux bien, mais pas plus[1].

« Aucun cerveau humain ne peut dépasser dans son développement upe certaine limite, puisque c’est, en définitive, un cerveau humain et qu’il ne saurait sortir de sa propre nature. Mais ce point suprême auquel peuvent atteindre certains esprits, a été certainement en tout temps atteint par plusieurs. » On dit que nous jouissons de l’expérience accumulée des siècles qui nous ont précédés ; soit, mais combien en avons-nous laissé perdre en chemin !

  1. M. Gumplowicz dit quelque part que l’invention de l’écriture vaut bien celle du télégraphe.