Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 17.djvu/582

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
578
revue philosophique

velle humaine ; la finalité est un fait tangible de l’expérience. Des premières on peut se demander si elles sont conciliables avec le principe scientifique de causalité ; pour la seconde, toute la question est : si cette finalité de fait peut s’expliquer par les lois causales générales du monde physique, ou non. »

La science n’a point réussi, en dépit des banalités courantes, à écarer d’une façon complète et définitive les principaux systèmes anciens. Elle est aujourd’hui encore, et à son insu, sous la tutelle supérieure et nullement gênante du platonisme et de l’aristotélisme, où de l’Idée et de l’Entéléchie. « Par une rencontre singulière, les caractères que Platon assigne à ses Idées sont précisément ceux que nous avons l’habitude d’attribuer aujourd’hui aux « lois de la nature » pour les distinguer des phénomènes particuliers. L’entéléchie d’Aristote de son côté est cette forme spécifique inhérente à chaque exemplaire de l’espèce, active, dirigeant son évolution suivant un type déterminé ; elle est ce je ne sais quoi qui fait que la matière reçoit ici la forme d’un cristal de roche, là celle du lion, ailleurs celle de l’homme, et l’empêche, un laps de temps, de retomber à l’état de pâte ou de poussière informe. »

« La conception moderne dela nature, dit en terminant M. Liebmann, est loin d’être une œuvre d’une seule pièce ; elle se compose réellement de deux moitiés hétérogènes, et elle souffre de cette désunion intérieure. La première moitié, sous les noms de mécanique, physique, chimie, ne s’occupe que de la nature inanimée et des phénomènes réductibles à des processus inorganiques ; celle-là se rattache au platonisme, en faisant dépendre les faits individuels ou les transformations particulières d’un système de lois (idées) constant et invariable à travers tout changement. L’autre moitié comprend soit l’embryologie, qui étudie l’évolution de l’individu organisé et la ramène à une idée plastique, soit la théorie de la descendance et le darwinisme, qui, au moyen de facteurs expressément téléologiques (génération, hérédité, tendance & la variation ou à adaptation), entreprend de retracer, du protoplasma élémentaire jusqu’à l’homme, le développement de l’arbre généalogique des espèces végétales et animales. Celle-là relève de l’aristotélisme, en faisant remonter l’évolution individuelle ou phylogénétique à des germes (entéléchies) soumis à une loi de développement. Entre ces deux moitiés, il y a un abîme. »

Dans cette série d’études d’ailleurs remarquables, il nous semble que M. Liebmann commet la faute de faire la science trop métaphysique. L’univers pour la science n’existe et n’est connu que sous la forme et la condition de l’espace. Il s’ensuit que forcément tout fait de l’univers, microscopique ou immense, est un simple changement dans l’espace, c’est-à-dire un mouvement lié à d’autres mouvements. Une intelligence infinie qui n’aurait d’autre mode d’intuition que celui de l’espace ne verrait dans chaque partie de l’univers et dans l’univers lui-même qu’un mécanisme infiniment varié et compliqué. C’est là le point de vue de la science expérimentale ; elle s’y tient et fait bien. Mais le mécanisme