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ANALYSES.liebmann. Gedanken und Thatsachen.

supérieure du mécanisme cosmologique. Qu’est-ce donc que cette idée de « nécessité », et faut-il la déclarer incompatible avec toute idée de « possibilité » ?

Il y a lieu de distinguer, remarque M. Liebmann, la nécessité et la possibilité logiques de la nécessité et de la possibilité de fait. Une chose est logiquement possible, quand elle est compatible avec les lois humaines de la pensée et de la représentation ; elle est nécessaire d’une nécessité logique ou intellectuelle, dès que le contraire de cette chose est inconciliable avec ces mêmes lois. À vrai dire, cette nécessité et cette possibilité logiques, étant d’une rigueur absolue et d’une évidence immédiate pour toute raison comme la nôtre, sont seules susceptibles d’une délimitation précise et à priori. Il n’en est pas ainsi de la possibilité réelle (compatibilité avec les lois de la nature) ou de la nécessité réelle d’une chose (ce dont le contraire est inconciliable avec les lois effectives de la nature). On peut imaginer qu’un quintal de fer, au lieu de tomber avec une vitesse accélérée, reste un certain temps suspendu en l’air ; qu’une pile de bois demeure intacte au milieu d’un incendie ou qu’un œuf de pigeon enfante un crocodile. Les lois réelles et constatées de la nature excluent bien en effet ces cas imaginaires ; mais la nécessité de ces lois est tout hypothétique. Leur valeur inductive ne repose sur aucune garantie absolue, dit M. Liebmann. L’idée même d’une universelle subordination à des lois, ajoute-t-il, est très récente et date à, peine de trois siècles. Il eût été bon et utile d’ajouter que la démonstration définitive de ce déterminisme transcendantal universel appartient à Kant, qui a su en même temps lui assigner son rôle et ses limites, l’unification de l’expérience.

La nécessité réelle et la nécessité intellectuelle se confondent-elles ? doivent-elles, dans la nature des choses, être estimées identiques ? Spinoza l’a cru, et grâce à Galilée, à Huygens, à Newton, le concept spinoziste d’un ordre mathématique, despote de l’univers, est devenu un article de foi de la pensée moderne. Les philosophes ont eu beau faire : les savants contemporains, à bien peu d’exceptions près, n’ont pas encore évolué de Spinoza à Kant.

Si cette identité est le vrai, démontré ou démontrable, c’en est fait du concept de possibilité, et le mécanisme scientifique universel se trouve fondé sur le roc.

M. Liebmann découvre à cet égard que la science moderne, par un curieux désaccord dont elle n’a pas conscience, n’a pu se défaire jusqu’à présent de ce concept soi-disant chimérique de possibilité. L’idée de possibilité, au sens aristotélique de « tendance à l’actuation sous certaines conditions données », demeure sous-entendue dans les derniers postulats de notre science. La mécanique générale s’appuie sur la loi de conservation de la force : « Aucune force vive ou force d’expansion ne naît de rien et n’est jamais anéantie ; » or, sans l’idée de puissance et de possibilité, cet axiome perd toute signification. En minéralogie, le curieux processus de la cristallisation démontre une