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ANALYSES.baudrillart. Économie politique.

tout droit à l’égard de l’État ou leur reconnaître un droit général à l’assistance de l’État, c’est-à-dire le droit de lui réclamer aide et protection, soit par ses institutions politiques, militaires ou judiciaires, soit par ses routes, ses canaux, ses chemins de fer, ses écoles de tous les degrés, soit enfin par ses établissements charitables. En vain dira-t-on que les individus n’ont vis-à-vis de l’État que le droit tout négatif d’être respectés dans leurs personnes et dans leurs biens. Ce droit négatif ne concerne pas les devoirs propres de l’État. L’État, au point de vue de la stricte justice, ne diffère en rien d’une personne quelconque soit morale, soit naturelle, en face d’autres personnes quelles qu’elles soient ; il est tenu aux mêmes devoirs envers les étrangers qu’envers les nationaux, hors de ses frontières que sur son propre territoire. Les rapports particuliers de l’État avec les individus soumis à ses lois supposent d’autres devoirs d’un côté, d’autres droits de l’autre, et ces droits et ces devoirs se résument exactement dans le mot d’assistance.

M. Baudrillart, comme tous les conservateurs au lendemain des révolutions, voudrait qu’on parlât moins souvent aux peuples de leurs droits et plus souvent de leurs devoirs. Il faut leur parler des uns et des autres et leur en montrer la réciprocité nécessaire. Si les individus exagèrent leurs droits, la même exagération est-elle moins à craindre de la part de l’État ? Si la revendication excessive et violente des droits des individus est la plus manifeste des passions révolutionnaires, la revendication, non moins excessive et non moins violente, des droits de l’État n’est-elle pas la forme ordinaire de l’esprit jacobin ? L’État a besoin, comme les individus, qu’on lui rappelle sans cesse ses devoirs ils trouvent leur expression dans les droits des individus, comme les devoirs des individus trouvent leur expression dans les droits de l’État. On peut sans doute admettre des devoirs sans droits correspondants ; mais ils auront toujours un caractère plus vague et plus précaire. Quand il s’agit de devoirs essentiels — et tels sont pour l’État les devoirs d’assistance – il importe de les concevoir comme attaches à des droits.

La revendication d’un droit est assurément plus dangereuse à l’égard de l’État qu’à l’égard des simples particuliers ; car, le plus souvent, elle ne pourra se produire devant aucun tribunal et il semble que son suprême recours, après les plaintes, après les protestations, après les appels plus ou moins violents à l’indignation publique, soit l’insurrection. Je ne veux pas discuter ici la redoutable question du droit d’insurrection. Je ferai remarquer seulement qu’elle se pose pour les droits de stricte justice, qui ne sont contestés par personne, comme pour ces droits plus larges et plus indéterminés qu’exprime le nom d’assistance. Et si l’on fait le relevé de toutes les insurrections qui, chez tous les peuples, à toutes les époques ont ébranlé ou renversé les gouvernements, on reconnaîtra que la plupart ont eu pour motif ou pour prétexte une injustice, une violation réelle ou supposée de la liberté ou de la propriété des individus, non un refus d’assistance.