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soulager et de la meilleure façon de les soulager. Toutefois la liberté même qui préside à la fondation des sociétés de bienfaisance et à la distribution de leurs bienfaits, ne permet pas de tout attendre d’elles et laisse place à la dette de l’État lui-même. Ici la dette est à la fois mieux déterminée et moins rigoureuse : mieux déterminée, parce qu’elle ne comporte pas le même arbitraire dans le choix des secours et des personnes à secourir ; moins rigoureuse, parce que la reconnaissance trop absolue d’une telle dette aurait pour effet de décourager l’initiative privée et d’encourager des exigences qui paraîtront toujours plus légitimes vis-à-vis des pouvoirs publics que vis-à-vis des particuliers. La dette existe cependant : elle existe, d’une façon précise, envers les vieux serviteurs de l’État et leurs familles ; elle existe, d’une façon plus vague mais non moins certaine, envers tous ceux dont la misère peut être considérée en tout ou en partie comme la conséquence des lois ou des actes de la puissance publique ; elle existe enfin partout où la charité privée est impuissante à prévenir ou à soulager des infortunes qui seraient à la fois une honte et une menace pour la société où elles resteraient sans secours.

M. Baudrillart reconnaît hautement le devoir social, la dette sociale de l’assistance ; mais il refuse d’y voir un droit formel. Il reproche à la constitution de 1848, qui avait si sagement repoussé le droit au travail, d’avoir fait au socialisme une concession non moins imprudente : celle du droit à l’assistance. Je ne saurais souscrire à ce reproche. L’État se faisant, d’une manière générale, entrepreneur et distributeur de travaux, en vertu d’un prétendu droit qu’auraient sur lui tous les travailleurs, c’est une conception éminemment socialiste ou, pour mieux dire, c’est tout le socialisme. Les travaux publics ne sont qu’une forme exceptionnelle de l’action de l’État, qui ne peut se justifier que par l’utilité commune, non par l’intérêt particulier des travailleurs. L’assistance, dans le sens le plus général, est, au contraire, le devoir propre de l’État, l’objet même de son institution. Si l’humanité pouvait s’élever à un tel degré de sagesse et de vertu que les individus n’eussent besoin d’aucune aide, d’aucune assistance pour le libre exercice de leurs droits, pour la protection de leurs intérêts, pour la participation de chacun au développement et à la jouissance d’une prospérité toujours croissante l’État n’aurait aucune raison d’être. Tous les modes et tous les instruments de la puissance publique, le gouvernement dans toutes ses sphères, l’administration sous toutes ses formes, la diplomatie, l’armée de terre et de mer, la police, les tribunaux, l’instruction nationale, ont également pour objet une assistance offerte ou prêtée à tous, au nom et avec le concours personnel ou pécuniaire de tous. Ce qu’on appelle proprement bienfaisance publique n’est qu’un des modes de cette assistance générale, un moyen suprême de suppléer à l’insuffisance des autres modes, dont le caractère plus général ne s’accommode pas au soulagement de tous les maux particuliers. Si elle demande plus de réserve, elle se justifie par les mêmes principes. Il faut ou refuser aux individus