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ANALYSES.baudrillart. Économie politique.

donnée Bentham et Stuart Mill. C était, il me semble, s écarter quelque peu de l’objet qu’il s’était proposé. Économiste, il n’avait pas à prendre parti entre les systèmes de morale, mais à rapprocher des solutions économiques les solutions morales communément admises, quelle que fût leur base philosophique. La réfutation qu’il a entreprise n’eût été nécessaire que si les doctrines qu’il combat tendaient à confondre les domaines propres de l’économie politique et de la morale. Mais la morale utilitaire est loin d’autoriser une telle confusion. L’utile, en économie politique, n’a pas la même sphère qu’en morale. Ici, il est surtout considéré dans son principe intime et individuel, dans les sentiments qui lui servent de mobile ou auxquels il tend à donner satisfaction. Là, il n’est étudié que sous la forme de richesse ou de valeur d’échange. Les biens les plus nécessaires et les plus précieux, l’air que nous respirons par exemple et, dans un ordre tout différent, notre personnalité morale, sont en dehors de l’économie politique, les uns, parce que leur abondance infinie, les autres, parce que leur caractère tout intime les soustrait à toute condition d’échange, à toute application de la notion économique ou juridique de la valeur. Ces biens toutefois peuvent intéresser l’économie politique, non comme compris dans son domaine, mais par leur influence sur la richesse proprement dite. Si l’intérêt moral ne se confond pas avec l’intérêt économique, il concourt à le produire et à en assurer la jouissance. Le créateur (le la richesse, c’est l’homme, avec toutes ses facultés physiques, intellectuelles et morales. Une âme saine dans un corps sain, suivant le précepte antique, est le meilleur instrument de travail et, par la santé de l’âme, il faut entendre la vivacité de l’esprit, la rectitude du jugement, la sagesse dans les pensées et dans la conduite, l’exercice de toutes les vertus qui font l’honnête homme et le citoyen utile. Là éclate la constante harmonie entre les conseils de l’économie politique et les préceptes de la morale.

M. Baudrillart, au travers et a la suite d’une discussion qui, en elle-même, nous a paru superflue, a mis en lumière cette harmonie dans une série de considérations que ne sauraient trop méditer tous ceux qui ont à cœur les intérêts sociaux comme les intérêts individuels. Il ne s’attache pas seulement aux vertus que l’on pourrait appeler économiques, comme l’activité et la prévoyance, au point de vue individuel, et la probité, au point de vue social ; il montre l’utilité des vertus les plus élevées, les plus désintéressées : la générosité, la bienfaisance, une religion bien entendue. L’idée de la solidarité humaine remplit l’économie politique comme la morale. Tout ce qui tend à resserrer les liens des hommes entre eux profite à la fortune publique. Rien ne lui est plus funeste que les haines d’homme à homme, de classe a classe, de peuple à peuple. La charité, la philanthropie, la foi religieuse, en travaillant a faire tomber ces haines, rendent donc à l’humanité des services économiques autant que des services moraux.

L’économie politique fait son profit de toutes les vertus qu’enseigne