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ANALYSES.baudrillart. Économie politique.

sant du bien une réalité absolue, dont nous avons, d’après eux, l’immédiate intuition. C’est le bien même qui est le principe de l’existence universelle : tout retourne à lui parce que tout vient de lui. Être c’est agir ; agir ; c’est désirer ; désirer, c’est aimer ; aimer, c’est être uni en quelque manière au bien suprême. Mais le désir et l’amour ne prouvent nullement la réalité de leur objet : tout au contraire, s’ils s’efforcent de le réaliser, c’est sans doute parce qu’il n’est pas encore réel.

Dira-t-on qu’il est réel en lui-même, mais qu’il n’est pas encore réel, qu’il est seulement réalisable, pour l’humanité et la nature ? Quel obstacle l’empêche donc de se communiquer lui-même à tous les êtres ? Si c’est une nécessité physique ou logique, cette nécessité même est un absolu qui le limite et le transforme en relatif ; si c’est sa propre volonté, pourquoi l’appeler bonté plutôt que méchanceté, amour plutôt que haine ? « Si la perfection de la bonté existait quelque part, dit M. Fouillée, elle existerait partout. Qu’il y ait un seul instant où existe un amour parfait et parfaitement puissant, et il y aura éternellement une infinité d’êtres semblables, puisque l’amour parfait ne peut être limité ni par l’égoïsme, ni par l’impuissance, ni par quelque nécessité dont il ne serait pas l’auteur. La perfection n’est donc conçue comme réelle au-dessus d’un monde comme le nôtre, qu’à la condition de devenir imparfaitement puissante, ou imparfaitement bonne : la réaliser c’est la nier. »

Ainsi, d’après M. Fouillée, l’idéal moral n’est pas une projection dans l’ordre des phénomènes d’une réalité transcendante : cette prétendue réalité n’est elle-même qu’une projection de l’idéal dans un ciel imaginaire. Mais si la moralité même suppose que l’idéal n’est pas déjà réel, ne suppose-t-elle pas d’autre part qu’il est tout au moins réalisable ? Elle postule donc la possibilité du bien. Ce postulat est-il légitime ?

Boirac.
(À suivre.)

Baudrillart. Philosophie de l’économie politique. Des rapports de l’économie politique avec la morale. Deuxième édition. Paris, Guillaumin, 1883.

Ce livre a pour origine un mémoire couronné par l’Académie des sciences morales et politiques et un cours professé au collège de France. La première édition remonte à plus de vingt ans. L’auteur a conservé, dans la seconde édition, la forme d’une série de leçons, sous laquelle il avait présenté, dans la première, le développement de ses idées. Il s’est ainsi interdit un remaniement complet ; mais, en maintenant l’ordonnance générale de son livre, il y a fait de nombreuses additions et il l’a complété par des leçons entièrement nouvelles sur la circulation, la répartition et la consommation des richesses. Les leçons anciennes pouvaient d’autant mieux garder leur place dans cette seconde édition, sauf quelques modifications de détail, qu’elles avaient très peu vieille.