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ANALYSES.fouillée. Systèmes de morale.

tives qui le rendraient possible en soi. Or a posteriori n’est-elle pas en contradiction avec notre expérience de la nature ?

La est le grand problème à la fois métaphysique et moral que la théologie est impuissante à résoudre pourquoi si la cause première des choses est la bonté infinie jointe à l’intime puissance, a-t-elle crée des êtres imparfaits et malheureux ? On connaît la réponse classique un monde parfait serait un second dieu. M. Fouillée n’y voit qu’un préjugé, le « préjuge hébraïque ». En fait de perfection réelle, dit-il, une infinité d’êtres parfaits vaut mieux que l’unité ; et il ajoute éloquemment : « Les Hindous, pour expliquer l’univers, prétendent que, du fond de sa solitude, l’être infini poussa un jour ce soupir : oh ! si j’étais plusieurs ! » et de là naquit le monde. Mais si l’être parfait ne peut produire que des êtres imparfaits, si la bonté ne peut produire que le mal ou la racine du mal sous toutes ses formes, Dieu ne réussit nullement à être plusieurs à l’appel de l’être souverainement heureux ne répond dans l’immensité qu’un gémissement universel. »

Le spiritualisme cherche en vain dans la nature de Dieu le modèle de la perfection morale et dans la création le type et l’exemple du sacrifice. Car, ou la moralité qu’on attribue à Dieu est « en opposition avec la nôtre et alors ne la prenons pas pour modèle, ou elle n’est que la notre purifiée agrandie, idéalisée, et alors ses œuvres ne peuvent être en contradiction formelle avec ce que les nôtres seraient à nous-mêmes, au cas où nous aurions la toute-puissance et la toute-science avec la parfaite bonté. » De même « un amour de sacrifice, s’il produit la souffrance chez l’être qui aime, est en contradiction avec la béatitude d’un être parfait, et s’il ne la produit pas, en quoi ressemble-t-il au sacrifice douloureux qu’on nous demande par imitation de l’amour éternel ? Ne pouvant se faire souffrir lui-même, l’être absolu nous passe le rôle qu’il ne peut personnellement remplir, et c’est en nous seulement qu’il souffre ; c’est donc dans la personne d’autrui qu’il se sacrifie et, en dernière analyse, il sacrifie les autres. Si l’homme pratiquait ce genre de sacrifice, ce serait plus que jamais l’analogue de la haine et non de l’amour. »

Ainsi le passage de la critique à travers les systèmes de morale idéaliste semble accumuler les ruines. Tous les fondements traditionnels de la morale, l’idée de Dieu, l’idée même du devoir, sont renverses M. Fouillée veut-il donc nous conduire à cette conclusion qu’il faut désespérer de toute morale ? Quelques esprits pourront le croire. Socrate ne dut-il pas à son ironie d’être pris pour un sceptique par nombre de ses contemporains, et Aristophane vit-il en lui autre chose que le plus redoutable des sophistes ? Cependant l’ironie tendait à la maïeutique. De même la réfutation des systèmes prépare dans la pensée de M. Fouillée leur conciliation finale.

III. — À vrai dire, le meilleur moyen de comprendre et d’apprécier dans son véritable esprit cette critique des systèmes de morale contemporains, ce sera de recueillir nous-même et de coordonner en une