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volonté de l’universel, la volonté légiférant pour l’univers est un bien, que si les lois de l’existence, les lois universelles sont elles-mêmes des lois de bien, non de mal et d’indifférence. »

Ce contenu de la loi, Kant cherche à le déterminer dans sa double théorie de l’humanité fin en soi et du souverain bien. Mais là encore, il suppose, plutôt qu’il ne la démontre, l’identité de la raison humaine avec la fin absolue, et il ne peut trouver aucun moyen d’opérer la synthèse du bonheur et de la moralité ni dans la raison pure qui ignore le bonheur, ni dans l’expérience qui ignore les lois de la raison.

En somme, quoique Kant se soit proposé de fonder une morale immanente et autonome, sa morale est toujours théologique et autoritaire. Schopenhauer avait raison, « l’en soi s de la morale, l’absolu qui commande, la voix inconnue qui ordonne dans le for de la conscience, c’était au fond Dieu lui-même, et le devoir, l’impératif catégorique, c’était l’ordre absolu, la loi despotique émanée d’un Sinai intelligible. « Kant est le dernier des Pères de l’Église. »

Après la morale kantienne, la doctrine que M. Fouillée a le plus amplement critiquée est la morale spiritualiste, principalement sous la forme esthétique et mystique qu’un philosophe français contemporain lui a donnée. Il y trouve l’occasion de faire une critique de la théologie traditionnelle plus complète peut-être que celle de Kant lui-même dans la Critique de la raison pure ; car si le philosophe allemand a critiqué les preuves physiques et métaphysiques de l’existence de Dieu, il les a lui-même remplacées par les preuves morales ou, si l’on aime mieux, par les postulats de la raison pratique ; à tout prendre, il n’a fait que superposer à la théologie naturelle et rationnelle de ses devanciers une théologie morale. M. Fouillée, au contraire, prétend faire la critique de toute théologie, dans ses rapports non seulement avec les sciences de la nature, mais encore avec la morale. Il reprend donc l’examen des arguments tirés du principe de causalité, du principe de finalité, du concept de perfection, en faveur de l’existence d’un bien surnaturel où le monde et l’humanité auraient leur première origine et leur fin dernière. — Mais la cause surnaturelle est conçue comme semblable ou comme contraire à son effet : dans le premier cas, le problème n’est pas résolu mais simplement traduit en termes nouveaux ; dans le second, il devient impossible de comprendre le passage de la cause à l’effet ; il y a contradiction entre l’un et l’autre. Que si on la suppose à la fois semblable et contraire, la contradiction passe tout entière dans la cause même. — Pareillement c’est se contredire de supposer que la fin du désir soit non un pur idéal, mais une absolue réalité ; car si elle est déjà réalisée, le désir qui tend à sa réalisation n’a plus de raison d’être ; et si réelle en soi, elle n’est pas réelle en nous ni dans la nature, elle n’est donc pas la perfection complète et sans borne. — A priori, dit-on, la perfection implique l’existence. Mais on n’a pas démontré que l’idée d’un bien ou d’un amour parfait soit possible ou n’enveloppe aucune contradiction, et nous ignorons évidement les conditions objec-