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ANALYSES.fouillée. Systèmes de morale.

personnifie ; la morale esthétique et mystique croit sentir sa secrète influence au fond de l’âme ; la morale théologique prétend le voir lui-même en action dans la nature et dans l’histoire et révéler ses décrets à l’humanité. Ainsi la pensée monte successivement par trois degrés qu’on pourrait appeler le scepticisme, l’idéalisme et le réalisme métaphysique.

La morale de l’évolution est exposée par M. Fouillée d’une façon libre et toute personnelle il la construit plutôt qu’il ne l’analyse. C’est qu’elle est pour lui une partie intégrante de la morale de l’avenir, de cette morale qu’il s’efforce d’édifier à travers la critique même des systèmes. Aussi on en chercherait en vain la réfutation dans son livre il l’admet tout entière ; seulement il la complète et la dépasse en ajoutant aux habitudes et aux instincts, produits de l’expérience héréditaire, base organique de la moralité, la conception réfléchie de l’idéal moral qui tend à se réaliser par sa propre force. La critique devient plus pressante avec les doctrines de M. Littré et de M. Taine elle leur reconnaît le mérite d’avoir entrevu que « la moralité est après tout une certaine idée qui s’actualise, un certain jugement qui passe dans les actes » mais elle leur reproche, de n’avoir pas démêlé « la vraie nature de cette idée, la vraie portée et le véritable objet de ce jugement. » Les partisans de la morale indépendante ont sans doute raison quand ils déclarent la morale indépendante de la théologie ; mais ils ont tort de s’imaginer qu’ils peuvent parler encore de devoir et de liberté sans mêler la métaphysique à la morale. « Le positivisme défend de toucher à l’arbre de la science du bien et du mal. Les partisans de la morale indépendante acceptent d’abord cette défense, mais, voyant sur le sol des fruits détachés, ils les ramassent, en enlèvent l’écorce, les prétendent indépendants de l’arbre lui-même et s’en nourrissent. »

L’effort principal de M. Fouillée porte visiblement sur la morale de Kant et de ses disciples français aucune autre n’est aussi minutieusement analysée et discutée ; elle occupe plus d’un tiers de son livre. La grande objection qu’il adresse à la morale criticiste et à la morale kantienne, c’est que ni l’une ni l’autre n’ont soumis à la critique l’idée fondamentale de tout leur système, l’idée d’obligation ils la posent tantôt comme une vérité certaine, tantôt comme un objet de foi ; mais ils se refusent à en reconnaître la vraie nature, ils réclament pour cette hypothèse métaphysique une dispense d’examen. M. Fouillée s’efforce donc de démontrer premièrement que l’idée d’obligation avec toutes celles qui s’y rattachent est une idée métaphysique et conjecturale au premier chef, que, comme telle, elle doit, autant et plus qu’aucune autre, subir le contrôle de l’analyse et de la critique, secondement qu’elle ne peut passer par cette épreuve sans trahir son insuffisance ; qu’il faut par conséquent chercher ailleurs la pierre angulaire de la morale.

M. Fouillée a-t-il démontré que ni le kantisme ni le néo-kantisme n’ont proprement fait la critique de leur principe moral ? Il semble difficile de ne pas l’admettre. Parfois, il est vrai, ils ont paru l’essayer ;