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ANALYSES.fouillée. Systèmes de morale.

sortir sans effort d’un esprit toujours en action, qui ne peut même recevoir en soi des idées étrangères sans se les assimiler en les transformant. Soit qu’il expose et développe les doctrines d’autrui, soit qu’il propose et présente les siennes, soit qu’il discute et critique les systèmes et leurs arguments, il laisse toujours l’impression d’une prodigieuse virtuosité métaphysique qui joue avec les idées sans jamais se répéter ni se lasser et dont les ressources d’improvisation sont véritablement inépuisables. Mais c’est encore un des caractères originaux du talent de M. Fouillée que l’idée chez lui ne reste jamais abstraite et nue spontanément, elle se revêt, elle se colore d’une image. Veut-il par exemple rassurer ceux qui s’alarment des conséquences morales de l’idée d’évolution ? « Toute nouvelle idée morale ou religieuse qui monte à l’horizon apparaît d’abord grossie, étrange, inquiétante elle est comme l’astre à son lever qui, lorsqu’il est près de la terre, semble énorme et répand une lueur d’incendie, mais qui, parvenu à son zénith, illumine et féconde tout de sa clarté. » Veut-il exprimer l’identité fondamentale de la sensibilité et de l’intelligence des passions et des idées ? « Ce sont, dit-il, en parlant des passions, des pensées qui se meuvent trop vite et en masses trop compactes pour s’apercevoir elles-mêmes, la conscience traversée par elles, comme une eau troublée, perd sa transparence. » Rarement on vit une telle abondance d’images fleurir dans le champ des abstractions philosophiques.

Hégel reprochait à la philosophie de Schelling, si riche en intuitions, sa pauvreté dialectique. Parfois, en effet, chez les philosophes, l’imagination et la logique s’excluent ceux qui inventent des thèses ne se donnent pas toujours la peine de les démontrer surtout ils ne se soucient guère de réfuter les thèses des dissidents ou les objections des adversaires. La réfutation et la preuve demandent une patience, une exactitude, une ténacité qui répugnent trop souvent à ces vifs et libres esprits. Peut-être aussi M. Fouillée semblait-il mal disposé à la critique des systèmes par ses vues générales sur la méthode de la philosophie et de son histoire. « La conciliation des systèmes, disait-il dans la préface d’une Histoire de la philosophie, est plus nécessaire encore que leur opposition, et c’est dans cette conciliation graduelle des doctrines par une doctrine supérieure que consiste le progrès de la philosophie, surtout dans sa partie métaphysique » et il ajoutait « dans la philosophie comme dans l’art, la grande critique n’est pas celle des défauts, mais celle des beautés. » Bien mieux, le précepte le plus sublime et le plus doux de la morale doit s’appliquer, selon lui, aux philosophes et leur fournir la meilleure règle de critique « Aimez-vous les uns les autres. » De cette déclaration de principes, certains avaient conclu que M. Fouillée renonçait pour jamais à la critique réfutative, à cette escrime dialectique, où deux pensées qui luttent ensemble font assaut de force et d’adresse. N’est-elle pas en philosophie le symbole ou plutôt l’équivalent du duel et de la guerre ?

D’ailleurs, si l’on veut concilier entre eux les systèmes, il ne faut pas