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être scientifiquement, subjectivement systématisés, que s’ils sont déjà systématisés objectivement, puisque les lois scientifiques ne sont pas autre chose que l’expression abstraite des rapports entre les phénomènes. Chaque conquête pour la morale tend à devenir ainsi une conquête pour la psychologie, et, si l’on veut élargir le sens du mot, on peut dire que toute psychologie implique une certaine moralité. La loi morale, comme je l’ai dit ailleurs, tend à devenir une loi psychologique, et cette loi se caractérise principalement par ceci, qu’elle exprime un rapport des phénomènes tel que ces phénomènes offrent le plus de systématisation possible, que, pour une société, par exemple ; ils tendent à se conserver dans leur ensemble et dans leur manière d’être générale.

Il importe toutefois de bien marquer jusqu’où peut s’étendre cette modification de la psychologie par la morale, elle n’est pas indéfinie ; ce qui est modifié, c’est le groupement concret des faits et les lois les plus concrètes, ce ne sont pas les lois abstraites qui restent toujours les mêmes. Que dans une machine à vapeur les rouages fonctionnent bien ou mal, les lois de la physique ou de la chimie n’en restent pas moins identiques. De même que les hommes soient moraux ou immoraux, cela ne modifie en rien certaines lois psychologiques, par exemple, les lois de l’association des idées, Il est aisé de comprendre pourquoi il doit forcément en être ainsi. La science et la philosophie ne sont autre chose que l’association des phénomènes par ressemblance et différence remplaçant l’association réelle des phénomènes se succédant dans le temps. Les phénomènes apparaissent et disparaissent dans le temps, la science et la philosophie recherchent ce qu’il y a de général dans les formes de ces écoulements de phénomènes et, mettant à part ces formes abstraites, négligent l’ordre réel et concret. Or, de quelque manière que les phénomènes s’enchaînent, ils doivent s’enchaîner selon ces lois abstraites, puisque ces lois abstraites sont précisément ce qui reste de l’expérience, une fois qu’on a séparé tout ce qui est passager et accidentel. La réalisation de la morale ne peut donc rien changer aux lois abstraites ; toutefois, une réalisation complète de la morale ajouterait une loi abstraite aux autres lois abstraites : cette loi indiquant le rapport des phénomènes concrets dans leur écoulement même, indiquant la loi de cet écoulement. On voit la perfection que supposerait la réalisation de cette loi et qu’il est impossible, autant qu’on en peut juger, que cette réalisation eût lieu. Encore pourrait-on soutenir que cette loi ne serait pas semblable aux autres, en ce sens qu’elle ne serait pas, comme elles, abstraite de toutes les expériences et données par toutes les expériences susceptibles de la donner. À quoi on pourrait