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F. PAULHAN. — la morale idéale

sur des faits réels, mais encore sur des faits conditionnels. En employant un langage métaphysique en apparence, mais en apparence seulement et qu’il faut interpréter dans un sens purement phénoméniste, je dirais que les facultés de l’homme sont du domaine de la psychologie quant aux phénomènes réels, du domaine de la morale quant aux phénomènes possibles, et comment distinguer le réel du possible quand le réel d’aujourd’hui est le possible d’hier, quand le possible d’aujourd’hui sera le réel de demain[1] ?

La morale est donc, à certains égards, un prolongement de la psychologie, Si l’on y réfléchit bien, on voit en outre que c’est, en un sens métaphysique, la psychologie qui fait la morale, en tant que la morale est possible et tend à se réaliser dans les faits. En effet, chaque phénomène est le résultat des phénomènes qui le précèdent, si donc la nature de l’homme change, ces changements proviennent des phénomènes qui les ont précédés, c’est-à-dire des phénomènes psychiques précédents et des circonstances de milieu qui ont coïncidé avec ces phénomènes. L’homme réel, s’il a une tendance au perfectionnement, tend à devenir l’homme idéal, la psychologie devient morale spontanément dans une certaine mesure. Il est clair que si l’homme n’était pas ce qu’il est, il ne deviendrait pas ce qu’il devient en effet, il ne peut changer sa nature qu’en s’y conformant. Si la morale est réalisable, elle le doit aux faits psychologiques, et surtout à certains d’entre eux, ainsi qu’à certaines lois qui les régissent.

Ainsi la morale emprunte à la psychologie tous les renseignements qui lui sont nécessaires pour se représenter l’idéal, et pour arriver à le réaliser. Il est inutile, je crois, d’insister sur ce point qui est à peu près évident. J’ai essayé dans de précédentes articles de montrer une des manières dont cet idéal naît, s’impose à nous et tend dans une certaine mesure à se réaliser, et comment il y avait lieu de croire que, pour ce qui concerne l’homme actuel, l’idéal s’est mal formé, le développement mal accompli, et la systématisation entravée[2].

Si la psychologie donne à la morale, elle en reçoit aussi ou doit en recevoir. Chaque amélioration morale de l’homme, étant une augmentation de la systématisation de l’objet de la psychologie, doit favoriser l’achèvement de cette science, car les faits ne peuvent

  1. Au point de vue déterministe tout ce qui est possible est réel, mais ici je prends le mot possible au seus subjectif, non au sens objectif ; je veux désigner par ce mot non ce qui est réellement possible et qui, par conséquent, sera forcément réel dans l’avenir, mais ce que nous pouvons, à tort ou à raison, supposer possible, peut-être par ignorance.
  2. Revue philosophique, mai 1883 et décembre 1882.