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peler la philosophie générale par excellence, ce sont, entre autres, le principe de systématisation, le principe de la relativité, etc. C’est par l’application de ces principes à la philosophie scientifique et à la philosophie idéale que l’on peut voir les relations de ces deux philosophies entre elles, et comment l’une influe sur l’autre. Sur l’influence de la philosophie scientifique à l’égard de la philosophie pratique, il n’est pas nécessaire de s’étendre longuement ; nous savons que la théorie de l’action que la théorie de la systématisation idéale se fondent sur la science et la systématisation réelle. Il n’est pas nécessaire d’insister là-dessus : on peut d’ailleurs consulter à ce sujet le chapitre de Stuart Mill sur la logique des sciences morales. Ce qui me paraît plus intéressant à examiner c’est la dépendance bien moins reconnue et souvent bien mal reconnue où se trouve, à un certain point de vue, la philosophie scientifique par rapport à la philosophie idéale.

En se plaçant à un point de vue objectif, on peut affirmer que tant que la systématisation réelle ne sera pas effective, la philosophie scientifique ne pourra pas être complète. L’achèvement de la philosophie implique la perfection morale. Il ne faut pas bien entendu, entendre comme quelques personnes y seraient peut-être portées que, actuellement, il y ait une dépendance entre l’intelligence et la moralité chez un individu quelconque, ou bien que la philosophie doit se soumettre aux exigences de la morale commune. La philosophie ne se soumet à rien qu’aux résultats de ses propres recherches, et c’est au contraire à la morale à se soumettre en cas de conflit, mais comme nous l’avons vu l’une et l’autre poursuivent sur des terrains différents des buts analogues et il est intéressant de voir comment à un point de vue abstrait, et en poussant les choses à bout, la philosophie scientifique se trouve dans une certaine dépendance vis-à-vis de la philosophie idéale. Sans doute, nous sommes obligés d’opérer ici, comme les mathématiciens sur des choses abstraites et dont la réalisation ne peut pas ou peut ne pas se produire, mais de même que les signes ou les chiffres des mathématiciens, nos idées sont des symboles épurés de la réalité et ne sont pas absolument en dehors d’elle.

L’idéal de la philosophie scientifique c’est un monde où les faits se ramènent à des lois, où ces lois se groupent entre elles, se coordonnent, se systématisent, se soumettent à des lois de plus en plus générales, de sorte qu’on obtienne à la fin une systématisation complète, c’est-à-dire une loi, la plus abstraite, se vérifiant par toutes les lois et par tous les faits, et une hiérarchie descendante des lois soumises à la loi ou aux lois supérieures et se soumettant les autres, se complétant, s’appuyant entre elles et s’harmonisant dans un vaste système où chacune d’elles exprime à sa manière la loi la plus générale et