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de le voir. Quant à expliquer pourquoi nous nous croyons obligés de l’accomplir et quelle est la valeur de cette croyance, c’est une question différente. Il est clair que le devoir comme on le comprend généralement est une pure illusion que nous pouvons expliquer psychologiquement, mais dont nous n’avons pas à démontrer la réalité, puisque, cette réalité, nous ne l’admettons pas. Il est clair aussi que l’obligation morale que nous concevons en un sens, change de caractère et devient une conscience d’un déterminisme d’espèce particulière.

Il résulte de ce qui précède que l’idéal complet serait l’homme entièrement systématisé, la société entièrement systématisée, enfin l’univers entièrement systématisé. Cette systématisation s’appelle tantôt vérité, tantôt logique, tantôt vertu, tantôt beauté, tantôt bonheur. On voit pourquoi c’est la systématisation que je mets au premier rang, pourquoi je prétends qu’elle est le critérium et le but dernier de la morale. C’est qu’elle est la cause, l’essence, le fond de tout ce que la morale peut rechercher, elle est l’ordre, le bien, le vrai, Elle est plus grande que la morale, que l’esthétique, que la philosophie, c’est elle que cherchent toutes nos théories et c’est vers elle que doivent tendre tous nos actes. La science cherche à systématiser les données de nos sens, la philosophie scientifique à systématiser les données de la science, la science pratique, à nous donner des préceptes pour réaliser certaines systématisations particulières, la philosophie de l’idéal cherche quelles sont les conditions générales de la systématisation complète du monde.

Il est facile de voir maintenant la place que doit occuper la morale : en tant que théorie de la bonne conduite, elle tient dans le domaine de la science pratique la place que tient la psychologie dans la science théorique. De même que la psychologie, elle a ce double caractère d’être une science particulière, et, en même temps, de se rattacher par certains liens particulièrement étroits à la philosophie. La psychologie, science particulière des phénomènes psychiques, se rattache à la philosophie scientifique en ce qu’elle étudie l’intelligence de l’homme et que cette intelligence est l’instrument avec lequel l’homme connaît toutes choses, ce qui donne ainsi à la psychologie une portée tout à fait générale. De même la morale est une science particulière pratique qui étudie les conditions de réalisation de certains phénomènes absolument comme une science pratique quelconque fondée sur une science théorique quelconque, comme l’art de construire des chemins de fer ou l’art de guérir des maladies, mais elle a aussi pour objet propre l’activité générale de l’homme et donne des règles ou des conditions particulières qui s’appliquent à