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philosophie de la pratique que nous venons d’appliquer à la morale, le résultat sera le même. On sait que M. Taine, étudiant la question de l’idéal dans l’art, arrive à donner trois critères de la valeur d’une œuvre d’art, le degré d’importance du caractère, le degré de bienfaisance du caractère, la convergence des effets. Or ce qui fait l’importance d’un caractère, c’est, en somme, la quantité de phénomènes secondaires, d’autres caractères qui sont déterminés par lui ; ce qui fait la bienfaisance du caractère, c’est-que le caractère tend à se conserver lui-même et à tout régulariser autour de lui ; nous trouvons donc là la systématisation, l’ampleur et la durée de la systématisation ; quant au troisième caractère, la convergence des effets, c’est presque la systématisation elle-même, si l’on y ajoute le déterminisme de ces caractères et l’influence qu’ils exercent l’un sur l’autre.

La pratique d’une manière générale doit donc être une systématisation. Nous sommes autorisés par des raisons a priori et par des raisons a posteriori, comme nous venons de le voir, à conclure que la perfection des choses est en raison directe de leur systématisation. De là cette conséquence que les jugements que nous porterons sur les choses, seront fort différents, selon le point de vue où nous nous placerons pour les juger, selon que nous les envisagerons comme étant un tout elles-mêmes, ou bien comme faisant partie d’un tout. Une maladie, par exemple, peut offrir une systématisation spéciale qui a sa beauté, à laquelle un médecin sera très sensible s’il se place au point de vue purement scientifique. Il n’en est pas moins vrai que la maladie, considérée dans ses rapports avec l’organisme du malade, est une chose fâcheuse et que l’organisme sain est supérieur à l’organisme malade. Une bande de brigands peut être parfaitement organisée : considérée en elle-même, elle pourra satisfaire quelques-uns de nos sentiments esthétiques et moraux ; considérée dans ses rapports avec la société contre laquelle elle lutte, elle est un mal. Supposons qu’un membre de la bande trahisse par cupidité ses compagnons, son action nuit à la systématisation partielle de la bande, au point de vue de la bande, c’est un mal ; elle favorise la systématisation de la société en général, c’est un bien ; mais en même temps elle indique chez cet homme la prédominance de sentiments peu faits pour aider en général à cette systématisation, et la société, tout en acceptant le bienfait, méprise le bienfaiteur et ne l’admet pas volontiers dans son sein. Si nous considérons la lutte de deux nations, nous pouvons faire des réflexions analogues. Si nous nous plaçons au point de vue d’une des deux nations, nous jugeons qu’il est du devoir de chaque citoyen dans chaque nation de défendre sa patrie. Si nous nous pla-