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F. PAULHAN. — la morale idéale

Il reste à montrer que la systématisation, par elle-même, suffit à la morale, qu’il n’y a pas autre chose à chercher. Or, quel est le bat que l’on peut indiquer à la loi morale ? il n’y en a guère que deux, la recherche de la vertu, la recherche du bonheur. Prenons d’abord la vertu, et pour simplifier, supposons qu’il s’agit ici, simplement, de morale idéale, n’est-il pas vrai que nous regarderons toujours comme le plus vertueux, l’acte qui sera susceptible de réaliser la plus grande Systématisation ? Si, par exemple, nous regardons la bienfaisance comme une vertu, n’est-ce pas parce que nous la supposons capable de resserrer les liens sociaux, de permettre aux individus secourus de prendre leur part au bonheur que la vie peut leur offrir, et nous savons que le bonheur n’est que l’aspect subjectif de la systématisation, enfin, pour les croyants, parce que cela plaît à Dieu. Si la charité exercée dans certaines conditions peut devenir un défaut, n’est-ce pas que dans ce cas, à ce que croient au moins ceux qui la blâment, elle peut, au contraire, amener certaines divisions sociales, ou bien prolonger les jours d’individus inutiles, rouages usés de la machine, et amoindrir aussi la systématisation en détruisant ou en amoindrissant la coordination, ou en empêchant son établissement ? C’est toujours, dans tous les cas, à une règle générale, objective ou subjective, de raison ou de sentiment, que l’on se rapporte, et une règle générale est une systématisation, une forme de l’unité.

Le bonheur résulte aussi de la systématisation. Le bonheur, en effet, n’est qu’un état agréable et continu, une suite de plaisirs plus ou moins vifs, et tout plaisir est dû à l’apparition d’un nouvel état organique psychique qui, s’harmonisant avec nos tendances précédentes, forme avec elles un système coordonné, ou bien à la disparition d’un état organique ou psychique qui, en désaccord avec la plupart de nos tendances organiques ou psychiques, empêchait notre systématisation complète. La douleur résulte des phénomènes absolument inverses. On peut vérifier cela pour les plaisirs, les peines de toute nature, physiques, intellectuelles, morales. Que nous examinions les impressions causées par nos sensations, par nos idées, nos changements d’opinions, par nos études, par les idées nouvelles qui s’offrent à nous, par la musique, la peinture, par la mort de personnes connues, par tout ce qui nous arrive enfin, nous trouverons toujours que le plaisir a pour cause un accroissement de notre systématisation ; que la peine, au contraire, a pour cause une diminution de notre systématisation. Il y a quelques : exceptions apparentes qui rentrent facilement dans la règle quand on les regarde de près.

Appliquons à l’art le critérium général du bien, la grande loi de la