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plus étroitement dans la dépendance les uns des autres ; 3o que le système ainsi formé tend davantage à se conserver par lui-même.

Il faut voir maintenant si ce critérium, qui s’applique au monde de la science et de la philosophie, s’applique aussi au monde de l’art et de la morale. S’il en est réellement ainsi, des idées synthétiques très vastes doivent en résulter, et l’on a la formule d’un des aspects les plus généraux du monde.

Le point à admettre est simplement celui-ci : le sens esthétique et le sens moral, comme les facultés intellectuelles de l’homme, seront d’autant plus parfaits, qu’ils seront plus systématisés eux-mêmes, qu’ils s’appliqueront à des objets plus systématisés et qu’ils s’accorderont mieux avec les autres facultés de l’homme. Une induction fondée sur des analogies sérieuses nous conduit à admettre cette proposition a priori, la vérification a posteriori nous donne de nouvelles raisons.

Si ce que j’avance est vrai, une conduite sera d’autant plus morale qu’elle sera plus systématisée. Essayons de voir si cela peut s’admettre. Prenons les différentes opinions sur la morale, nous voyons que toujours la morale est une tendance à la systématisation de la conduite. On objectera, il est vrai, que cette systématisation a lieu en vue d’un but et que la systématisation n’est qu’un moyen. Nous verrons tout à l’heure pourquoi la systématisation est, en somme, le point important, le principe d’où tout le reste découle, le but lui-même n’étant qu’une systématisation.

La morale est dans toutes les théories une systématisation de la conduite en ce qu’elle donne toujours une série de préceptes destinés à unifier la conduite, à lui assigner un but principal, à lui indiquer une direction générale, que doivent suivre tous les actes. De plus, elle est une systématisation en ce sens qu’elle met l’homme en harmonie avec d’autres êtres, ses semblables, avec les animaux, avec les êtres avec lesquels il entre en rapports, elle règle ces rapports en leur assignant un but unique, une cause finale qui les dirige et qui leur donne une loi. C’est ici le cas de rappeler ce que je disais tout à l’heure sur les rapports de la science et de l’art en général et ce que j’ai dit ailleurs sur l’analogie des lois physiques et des lois morales. La loi naturelle indique un ordre réel des phénomènes, la loi morale indique un ordre idéal réalisable sous certaines conditions, et, de même que la philosophie naturelle cherche à établir une hiérarchie, une coordination des lois naturelles, de même la philosophie morale, la philosophie de la pratique, cherche à établir, d’une manière idéale nécessaire, une systématisation complète de la pratique par la hiérarchie, la subordination, la coordination des lois morales.