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comme un chœur de prêtres, menacer, gémir sourdement, murmurer un glas funèbre, entonner un hymne de gloire, éclater en horribles cris ou sonner sa redoutable fanfare pour le réveil des morts ou la mort des vivants[1].

Remarquons-le avec soin : c’est d’un seul timbre, du même timbre, qu’il dépend du compositeur d’obtenir ces divers effets. « Cette individualité magnifique, » comme l’appelle Berlioz, ne se déguise pas, ne se masque pas pour interpréter les bruits de la nature. « Cette voix olympienne, » ainsi que Berlioz la nomme encore, ne se déforme pas, même lorsqu’elle traduit la colère des éléments. Que met-elle en effet dans ces sonorités tumultueuses de la nature physique ? Des rugissements sourds, d’horribles cris, des clameurs rauques, forcenées, tels que « l’on croit entendre des monstres étranges exhaler dans l’ombre les gémissements d’une rage mal contenue », et, d’autres fois, « la voix courroucée des dieux infernaux. » Mais des cris, des clameurs, des gémissements de rage, sont des sonorités d’âmes, monstreuses ou non, infernales ou non, peu importe ; par conséquent, des sonorités psychologiques au premier chef, que le noble instrument emprunte à l’homme et prête aux forces physiques ou fantastiques, élevant, agrandissant, idéalisant celles-ci, sans diminuer en rien le modèle qu’elles reflètent.

Nous commençons à le constater : la musique pittoresque doit à la musique psychologique une grande part, et la meilleure part peut-être, de ses puissances expressives. Pour en revenir au trombone, son timbre est à ce point particulier qu’il lui suffit très souvent des degrés divers de son intensité et de sa hauteur propres, pour diversifier les personnifications et les qualifications musicales. « Le caractère du timbre des trombones, dit Berlioz, varie en raison du degré de force avec lequel il est émis. » Et ailleurs : « Cet instrument a besoin de l’harmonie, ou tout au moins de l’unisson des autres membres de sa famille (il est ténor, alto et basse), pour que ses aptitudes diverses se manifestent complètement. » Mais, ajouterons-nous, ce concours de ses frères, qui lai apportent son timbre à d’autres hauteurs, s’il lui est nécessaire, lui est aussi suffisant. Ainsi son timbre, combiné avec les deux timbres fraternels, détermine, définit lui-même la signification substantive ou qualificative qu’il doit présenter, autant du moins que cette définition musicale est possible en l’absence de paroles. Quel est l’instrument à percussion dont on en pourrait dire autant ? Et de quel côté se trouve donc la plus grande puissance pittoresque ?

  1. Même ouvrage, page 205.